Nous tombons sur eux par hasard, mais difficile de faire plus différents que Ismaïla et Djamila. Le premier, en classe de 4ème au collège de Koungou, avance vers nous avec un déhanché désinvolte, et la parole facile, « c’est super ce livret ! Parce qu’il me manque du niveau, je vais bosser chez moi et rattraper le retard. Mais quand même, je voulais dire, c’est pénible cette épidémie, à quel moment je vais pouvoir recommencer à faire des bisous à ma chérie ?! » Accompagnée d’une copine, Djamila, livret de cours en main, fait dans la discrétion. C’est qu’elle est inquiète, mais pas pour les même raisons qu’Ismaïla : « Je suis en 3ème et on a bientôt le brevet blanc, et à la fin de l’année l’examen national. J’ai peur de ne pas être prête. »
Ils ont chacun des personnes ressources dans leur entourage familial, oncle ou tatie, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. De plus, les premiers arrivés ont été les mieux servis à la mairie de Koungou ce lundi matin d’avant confinement. Carnets de correspondance en main, la foule de papas et mamans est pourtant nombreuse et compacte pour réclamer un livret pour leurs enfants, rassemblant les cours que leurs professeurs ont préparé pour une à deux semaines selon les niveaux. Mais il n’y en a plus, un papa repart dépité, « on m’a dit de faire des photocopies à partir d’un autre livret. »
Si on décidait de mesurer le désir de scolarité et savoir au volume de déplacement des familles ce lundi, on ne pourrait que se réjouir. Des enseignants avaient fait un travail de fourmi en amont, « j’ai appelé tous les élèves de ma classe pour qu’ils récupèrent les cours, et je suis finalement arrivée à les contacter tous, ça m’a pris 3 heures ! », nous rapporte une professeure principale.
Au cœur du dispositif, le numérique reste le maillon faible ici
Nous faisons le point sur cette première journée de mise en place des cours à domicile avec le recteur Gilles Halbout, notamment sur ce déficit de cours : « A Koungou, certains parents ont pris plusieurs livrets pour donner à d’autres élèves, pourtant nous en avions imprimés assez. Dans d’autres communes, ça s’est mieux passé. »
En métropole, télétravail et télétransmission sont mis en avant, non sans problème de débit, en raison de la saturation des réseaux, d’où la petite phrase du ministre de l’Education nationale. La difficulté de l’exercice est décuplée à Mayotte où un foyer sur trois seulement possède un ordinateur, et 28% ont une connexion internet avec une box ou un accès Wifi gratuit (INSEE, recensement 2017). Une enseignante de collège nous expliquait que seulement deux élèves sur les 28 de sa classe avaient une adresse mail. La mise en place par Nathalie Costantini de l’Espace Numérique de Travail (ENT) lors des grèves, pour transmettre du contenu pédagogique aux élèves, est donc récente, « cela marche bien en lycée où le nombre de personnes connectées est plus élevés », nous explique Gilles Halbout.
Accroitre la capacité numérique est un enjeu que cette crise pourra booster, « nous avons de bons retours sur le nombre de téléchargements de cours, et nous proposons des numéros d’assistance pour les collégiens et lycéens. » (Voir le tableau ci-dessous)
Mayotte 1ère comme gigantesque salle de cours
Pour ceux qui restent en marge du numérique, il y a donc les polycopiés remis aux élèves ou aux parents, « ce mercredi sera consacré au primaire, dans les écoles », mais aussi les cours diffusés sur Mayotte la 1ère. « Une innovation nationale que nous avons appelée ‘nari some’, ‘apprenons ensemble’, et qui pourrait être reprise en métropole », se réjouit Gilles Halbout. Ce mercredi Sitinat Bamana et Sophie Begue assuraient la première de l’émission, avec l’apprentissage des gestes simples d’hygiène en utilisant le bilinguisme, « nous avons des séquences dédiées au premier degré, d’autres au second. » Un rendez-vous autant utile que novateur, qui mériterait d’être pérennisé ensuite par la chaine publique.
Les collégiens et lycéens auront en première semaine des cours dédiés à la méthodologie, « on explique comment prendre des notes, et on leur suggère notamment, de rédiger un journal intime, où ils peuvent raconter comment ils vivent cette crise. Cela permet de développer l’expression à l’écrit. » Et jeudi et vendredi, ce sera anglais et histoire-géographie. Les 1er degré, auront droit à une séquence lecture, et de tester leur compréhension d’un texte par un jeu interactif.
Tout en mettant en place un génie stratégique digne d’un temps de « guerre », pour reprendre l’anaphore du président de la République, le recteur déroule sa pelote de l’agenda de l’année scolaire : « Nous avons des échéances institutionnelles avec les syndicats, et nous devons préparer 2020, recruter des professeurs, se pencher sur les affectations demandées par les élèves, etc. »
Pour revenir à la situation inédite de quasi-confinement que nous vivons, et comme annoncé, les enfants des personnels hospitaliers mobilisés sont pris en charge, « beaucoup étaient dans le privé, qui a fermé, nous devons donc les intégrer dans des établissements en petit nombre ». En métropole, le même schéma d’accueil dans les écoles, les collèges et les lycées est mis en place, notamment en Occitanie, dans la Nièvre ou en Bourgogne-Franche-Comté.
Pour le poste sanitaire monté à l’aéroport, l’ARS a sollicité les infirmières scolaires, « elles sont une trentaine ». Le rectorat décidemment sur tous les fronts.
Anne Perzo-Lafond