Face au désert médical dans deux des départements d’outre-mer, la Guyane et Mayotte, le législateur autorise les médecins extracommunautaires à venir y exercer depuis 2005. Une ordonnance que la Guyane a appliquée, pas Mayotte. En raison d’une levée de bouclier de la communauté médicale qui craignait de voir s’installer des praticiens de moindre compétence, et qui réclame la même exigence de prise en charge de la santé qu’en métropole.
En cette période de pandémie mondiale, la volonté du gouvernement est d’aller plus loin, puisque le premier ministre Edouard Philippe a pris la semaine dernière un décret étendant cette mesure à l’ensemble des outre-mer. Doublé de l’annonce de l’envoi de la réserve sanitaire… qui n’arrive pas à Mayotte, déplore Dominique Voynet, la directrice de l’ARS Mayotte. Elle s’exprimait la semaine dernière devant les médias sur le sujet de l’accueil de médecins étrangers, en évoquant un “sujet sensible”, « je n’y suis pas hostile sous certaines conditions », déclarait-elle sobrement. En précisant qu’il était “hors de question de dépouiller un territoire en manque et potentiellement en tension”.
Des médecins âgés et fatigués
Aux Antilles, c’est une sénatrice martiniquaise très enthousiaste, dont les propos sont rapportés par la chaine Publicsenat.fr : « C’est une bonne nouvelle. Nous manquons de certaines spécialités dans les Antilles, notamment autour du diabète, et il n’est pas facile de faire venir des médecins de métropole ou d’Europe, alors il faut ouvrir à d’autres pays ». Catherine Conconne souligne également « l’excellente » formation des cubains, puisque « l’île sous embargo compte deux fois plus de médecins par habitant que la France et enregistre l’espérance de vie la plus élevée d’Amérique Latine », rapporte toujours Publicsenat.fr.
A Mayotte, les besoins sont importants. Beaucoup de médecins sont âgés, et la situation épidémique dont l’évolution est encore incertaine, pourrait nécessiter du renfort, nous explique Gérard Javaudin. Le président du Syndicat des Praticiens hospitaliers de Mayotte avait été de ceux qui avaient accueilli l’ordonnance avec méfiance : « Comme par hasard, c’est une proposition qui ne concernait que les outre-mer, pas la métropole. Nous avons un service de réanimation de qualité, et parmi ces médecins de passage, certains ne savaient pas interpréter une IRM ! »
Pas de troupe sans l’artillerie lourde
Mais la situation l’amène à évoluer, tout en y mettant des « conditions préalables incontournables ». L’accroissement du nombre de lits en réanimation, au delà des 16 actuels, nécessite en effet de se doter de médecins réanimateurs supplémentaires, « nous n’en avons que 8, mais certains sont fatigués, et peuvent tomber malade ». Gérard Javaudin n’est donc « pas contre le fait d’accueillir des médecins en renfort », assorti d’un « mais » : « Il faut que ce soit des missions d’appui, seulement sur la durée de la crise. A l’heure où le numerus clausus est débloqué en métropole, il ne faudrait pas que de jeunes médecins ne puissent pas venir à Mayotte parce que des diplômés hors Union Européenne se sont installés. Il faut aussi que leurs compétences soient vérifiées, car nos processus de formation sont différents. »
Sur la même ligne, Pierre Millot, président de la Commission Médicale d’Etablissement (CME), veut des garde-fous : « En métropole, les établissements hospitaliers reçoivent le renfort de la réserve sanitaire, mais nous, nous sommes laissés pour compte. C’est pour cela que nous demandons l’arrivée du Mistral, qui doté d’équipes médicales, de réanimateurs, de matériel supplémentaire et du consommable », c’est à dire du matériel de protection, « nous avons besoin d’appui logistique. »
Car Gérard Javaudin met en garde, « n’envoyons pas les troupes sans le matériel. Un réanimateur sans appareil respiratoire, cela ne servira pas à grand-chose. »
Et si vague il y a, il demande de prévenir faute de pouvoir soigner dans de bonnes conditions comme dans le Grand Est en métropole : « Il faut faire de la prévention en appliquant le traitement à la chloroquine au début des signes cliniques, et non pas lors de la présence de lésions pulmonaires. »
Ils ont été partiellement entendus, puisque le Mistral arrive ce samedi à Mayotte. Mais la porte-parole du gouvernement a mis en garde ce mercredi, “il ne sera pas utilisé comme navire-hôpital”.
Anne Perzo-Lafond
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