Des chiens pendus dans les rues de Koungou. L’image a frappé les esprits cette semaine jusqu’en Métropole. Un événement qui pose, à Mayotte, la question du rapport des hommes aux animaux.
L’image envoyée par un téléspectateur à KTV, il y a une semaine, a marqué les consciences et a suscité beaucoup de réactions. On y voit un chien, mort, pendu à une corde dans une rue de Koungou. C’est d’abord l’association de protection animale Gueules d’amour qui est montée au créneau en portant plainte… Une de plus pourrait-on dire. L’association affirme en avoir déposé plus de 50 depuis 2006 sur des cas de maltraitance animale.
«Une fois sur deux, nous n’arrivions pas à porter plainte à la police ou à la gendarmerie. Et de toute façon, c’est très compliqué à Mayotte de faire déplacer qui que ce soit sur ces affaires. Depuis qu’on travaille avec l’avocate de la Fondation Brigitte Bardot, nos plaintes sont directement déposées auprès du procureur», explique Dominique Fournaux, la présidente de l’association, très en colère.
La Fondation Brigitte Bardot n’a pas déposé plainte mais étudie le dossier et attend d’avoir suffisamment d’éléments pour aller plus loin. Car si les maltraitances ou tortures d’animaux sont courantes à Mayotte, retrouver leurs auteurs est rarissime. L’affaire des deux chiens martyrisés pour ne pas dire dépecés à Mtsapéré en mars sort du lot. Les auteurs présumés ont été identifiés et seront jugés au début du mois de juillet. «Si on applique la loi, ils risquent deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Il faut marquer les esprits avec une peine exemplaire», martèle Dominique Fournaux.
Un grand nombre de chiens errants
La première question que pose ces événements est évidement celle des chiens errants. Impossible d’en connaître le nombre, probablement plusieurs milliers. Certains évoquent même un nombre bien supérieur à 15.000. Et ils devraient être encore plus nombreux dans les semaines qui viennent. Comme chaque année au mois de juin, de nombreux métropolitains devraient abandonner sans scrupule leur animal en quittant définitivement le département. Si les services de la DAAF* effectuent de nombreuses sorties nocturnes pour en capturer, les communes ne sont toujours pas pourvues de fourrières animales comme la loi les y oblige.
L’exaspération d’une partie de la population face à ces chiens affamés qui peuvent s’en prendre aux animaux d’élevage ou aux hommes est pourtant évidente et réclame une réponse.
Méfiance et rejet de l’animal
Mais au-delà, ce sont les liens complexes qu’entretiennent les Mahorais avec les animaux en général et les animaux domestiques en particulier qui sont interrogés. «Les Mahorais ont un rapport différent avec les animaux que les Européens mais ce n’est pas un rapport qui va forcément dans l’agression. C’est essentiellement une question de méfiance et de rejet», explique Sandrine Begein, vétérinaire à Mamoudzou.
Pour elle, les enfants à Mayotte «ne sont pas élevés dans le respect de l’animal de compagnie parce que c’est une notion qui n’a pas lieu d’être. On transmet surtout une méfiance par méconnaissance des animaux. Et lorsque des enfants s’en prennent à des roussettes pas exemple, c’est comparable aux petits Métropolitains qui peuvent arracher les cuisses aux grenouilles. Sauf qu’ici, les parents ne sont pas derrière pour dire que ce n’est pas bien. Personne n’explique que l’animal est un être vivant qui doit être respecté et qui souffre comme nous souffrons aussi.»
A cela s’ajoute deux phénomènes : les bandes de jeunes garçons qui par défiance prennent des chiens qu’ils ne sont pas toujours en mesure d’élever correctement. Et enfin, le fossé entre les Métropolitains et les Mahorais. Et c’est peut-être de ce côté-là aussi qu’est à chercher l’explication de la mise en scène macabre de Koungou. Ces chiens pourraient avoir payé le prix fort d’un mécontentement vis-à-vis des Mzungus**.
Changer les mentalités
Pourtant, les mentalités évoluent doucement, comme le constate Sandrine Begein dans le cabinet vétérinaire. «Maintenant, on commence à voir des Mahorais qui ont des animaux de compagnie. Ce sont souvent des femmes qui prennent des chats. Mais c’est également vrai pour les chiens et en particulier les chiens de garde. Certains commencent à dire que ces animaux peuvent apporter un service. De ce point de vue, on constate un certain affranchissement avec les comportements traditionnels.»
L’association Gueule d’amour ne veut pas laisser retomber l’émotion et compte bien en profiter pour changer vraiment les choses. «Nous demandons l’organisation d’une grande table ronde sur la question de la protection animale, indique Dominique Fournaux. Nous voulons associer la préfecture, le conseil général, les élus, le procureur, les religieux, la société civile… Ce qui se passe est inadmissible et faut absolument l’arrêter.»
RR
Le Journal de Mayotte
*DAAF : Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt
*Mzungu : métropolitain
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