L’histoire aurait pu avoir des conséquences plus graves, tant elle a pu attiser la haine et la défiance envers les forces de l’ordre. Elle montre aussi qu’il ne suffit pas d’être un citoyen indigné et équipé d’un smartphone pour devenir un informateur ou un journaliste.
“J’ai voulu informer le public” s’est pourtant défendu le jeune homme à la barre. Confronté en juillet 2019 à une opération du Gao (le groupe d’intervention de la PAF) à Mtsamboro, le prévenu avait décidé de filmer la scène, en postant chaque séquence au fur et à mesure sur YouTube. Jusque là, rien de bien problématique, filmer une intervention de police sur la voie publique est autorisé. Mais l’usage malveillant des images est plus grave, et la diffamation est un délit. Or le jeune homme a non seulement filmé la scène, mais il l’a colorée de commentaires haineux et surtout fantaisistes. Prétextant répéter ce que lui disaient des témoins, il a affirmé que les policiers en intervention avaient tiré sur un ouvrier sans papiers qui tentait de fuir. Filmant les policiers en train de porter secours à un blessé, il affirmait en direct que l’un d’eux avait “encore son arme à la main”.
Mais les commentaires du jeune homme n’avaient rien d’exact. La thèse du coup de feu venait d’un “boum” entendu quelques secondes plus tôt. Il s’agissait de l’ouvrier qui, tentant de fuir, avait fait une mauvaise chute et s’était blessé à la jambe. C’est lui que les policiers ont évacué sur une civière. Aucun coup de feu n’avait été tiré.
“Vous entendez une rumeur et vous estimez que c’est une information à diffuser?” s’interroge la présidente. “Pour moi à ce moment, oui” répond tête baissée le prévenu.
Pourtant, sur la seule base de cette supposition, le vidéaste s’était empressé de commenter largement la scène. “On voit que la personne est mal en point (…) elle a pris une balle (…) à Mayotte les policiers tirent pour n’importe quoi parce que c’est Mayotte” ou encore “ils lui ont troué la peau (…) ces gens-là bafouent les droits des Mahorais, ils sont là pour tuer des gens”. Des phrases qui, dans un contexte social tendu, auraient pu avoir des conséquences dramatiques. La vidéo a notamment largement circulé sur les groupes Facebook comoriens.
Sa conviction qu’une bavure avait été commise était renforcée par la tentative d’un policier de lui enlever son téléphone. Une action non autorisée, “je me suis dit qu’on cachait quelque chose” se souvient l’auteur de la vidéo.
Une infraction passible de 45 000€ d’amende
A la barre, le jeune explique avoir agi par colère, perdu dans sa vie après une condamnation à 10 mois de prison ferme pour violences aggravées, alors qu’il rêvait de devenir gendarme, il reconnaît avoir tenu “des propos dégueulasses” et s’excuse auprès des fonctionnaires pour “le mauvais moment que je leur ai fait passer”.
Si sa vidéo était ponctuée de “apparemment” indiquant qu’il n’était pas sur de ce qu’il avançait, ce n’était pas le cas de l’ensemble des accusations. Quatre policiers se sont constitués partie civile. Trois ont obtenu 2200€ chacun au titre du préjudice moral.
L’homme écope en outre de deux fois 1000€ d’amende délictuelle pour infraction au droit de la presse.
A l’heure où les policiers sont -parfois à juste titre- de plus en plus méfiants quant à l’usage qui peut être fait de leur image, cette affaire vient rappeler le besoin de rigueur et de mesure qu’impose la volonté d’informer. Car une image affublée d’un commentaire inexact peut totalement changer de sens et causer de graves dommages. L’affaire vient aussi rappeler la prudence à adopter face à des images et commentaires circulant sur Internet.
Y.D.
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