“Voici quatre ans exactement, du 15 décembre 2016 au 4 avril 2017, une pénurie d’eau potable affectait 80 000 personnes dans le sud de l’île. Face à cette problématique et dans l’attente de l’arrivée de la saison des pluies, des tours de distribution d’eau ont été organisés (deux jours sur trois) dans les huit communes du Sud de l’île, à savoir Chiconi, Ouangani, Sada, Dembeni, Chirongui, Bandrélé, Bouéni et Kani kéli. Cette pénurie d’eau avait généré une suractivité épidémique, dégradant l’état sanitaire de la population. Ce qui a entraîné d’importantes difficultés de fonctionnement des services de santé, notamment des PMI et des dispensaires pour finir avec des mouvements sociaux, initiés par le collectif des assoiffés du sud.
Quatre ans plus tard, une nouvelle crise de l’eau se vit actuellement. Elle vient de relancer une fois de plus, en des termes polémiques, le débat sur la gestion de l’eau dans ce 101ième département français ; où le taux annuel d’accroissement démographique est le plus important, sur l’ensemble du territoire français avec une densité moyenne de la population qui dépasse celle de la petite couronne parisienne. Elle est également l’occasion pour nous de contribuer au débat sur l’accès à l’eau des habitants de Mayotte et de montrer la valeur fondamentale que représente cette ressource pour notre survie.
Je voudrais tout d’abord mettre en avant l’originalité de la culture mahoraise qui a réussi à faire cohabiter : les principes religieux de l’Islam, les traditions à dominantes bantoues et les valeurs républicaines françaises. Or notre société se pense religieuse et il est logique qu’elle exerce une influence sur la perception de nos réalités et notre rapport à l’eau devrait en faire partie. Le Coran fait mention des principes sur la préservation de nos ressources comme des actes d’adoration :
« Nous avons fait descendre l’eau du ciel avec mesure » (Sourate 23 – Verset 18) et il est aussi mentionné ceci « Ô enfants d’Adam (…) mangez et buvez et ne commettez pas d’excès ». (Sourate 7 – Verset 31).
Les indicateurs de précarité comme éléments de non intégration
Sauvage, elle nous séduit par sa liberté, son abondance, mais lorsqu’elle vient à manquer, elle peut nous faire parcourir des kilomètres à pieds pour la chercher. Elle peut être aussi, source d’ennuis voire de mort par ses crues, ses inondations, sa pollution chimique ou bactériologique. A titre d’illustration, dans la nuit du mercredi 10 janvier 2018 vers 23h, au plus fort des pluies, une mère et ses quatre enfants ont péri dans un glissement de terrain qui a englouti leur habitation, située dans le quartier « Caro Boina », commune de Koungou. L’habitation était située dans une zone caractérisée par une forte pente où les secours ont rencontré des difficultés d’accès. Par ailleurs, le défaut d’assainissement, la difficulté d’approvisionnement en eau potable et le manque d’hygiène en lien avec des conditions de vie précaires, exposent la population aux maladies liées au risque hydrique, diarrhées aigües, parasitoses intestinales, typhoïde etc…
Un maillage encore insuffisant par rapport à l’évolution démographique
C’est de l’eau au robinet en quantité et en qualité qu’il nous faut, ont chanté Said BACAR du groupe de musique Kilimandjaro de Ongojou en (1991) et Amir ZOUBERT de Viking de Labattoir (2004). Si l’eau distribuée actuellement dans le réseau de distribution d’eau potable à Mayotte est de très bonne qualité bactériologique et physico-chimique, il faut noter que l’accès à cette eau potable n’est pas toujours assuré pour l’ensemble de la population mahoraise. Alors que l’accès à l’eau potable constitue l’une des composantes essentielles des soins de santé primaires et fait partie des “Objectifs du Millénaire pour le Développement” (OMD).
Avec ses 17 communes, Mayotte est alimenté en eau potable par un réseau unique interconnecté au niveau de la ressource, de l’adduction et/ou de la distribution. Elle dispose de quatre types de ressources (rivières, retenues collinaires, forages, mer). Les rivières de Mayotte pérennes ont un régime hydrologique marqué par deux saisons très distinctes : la saison sèche (kussi) et la saison des pluies (kashi-kazi). La première se traduit par des écoulements très faibles et la seconde par des écoulements abondants, surtout après des épisodes pluvieux.
A Mayotte, l’accès de la population à l’eau potable est limité. En effet, 29% des ménages ne disposent pas toujours de branchement particulier au réseau public, auxquels se surajoutent les étrangers en situation irrégulière. Certains de ces logements sont situés à plus de 500 mètres du réseau primaire d’approvisionnement et d’autres situés sur des pentes dangereuses, avec des habitations non étanches en tôles ondulées où les points d’eau sont souvent éloignés et ne disposent pas de raccordement au réseau public.
De la valeur nutritionnelle et physiologique aux sens spirituels
Au-delà de la satisfaction d’un besoin vital, en tant qu’aliment (60% du corps humain d’un adulte et 75% d’un nourrisson), médicament (hydratation), matière première (électricité), support de la baignade et du lavage des mains en cette période de pandémie de Covid-19 et des écosystèmes (cycle de l’eau) ; l’eau est un élément essentiel dans la pratique de l’Islam. Elle est considérée comme un bienfait de Dieu qui donne et qui entretient la vie, purifie l’humanité de l’intérieur (âmes) et de l’extérieur (corps) ainsi que la planète.
Non seulement l’eau est source de vie, mais toute vie est faite d’eau (Sourate 21 Verset 30). Dieu lui-même nous invite à nous interroger sur la valeur d’une vie sans eau. Dis: «Que vous en semble ? Si votre eau était absorbée au plus profond de la terre, qui donc vous apporterait de l’eau de source » (Sourate 67 Verset 30). Mais l’eau est aussi un élément de purification du repas. Un repas servi sans eau est considéré comme incomplet « makruh » et propitiatoire. Cela indique aussi à quel point l’eau est un élément central de la vie de l’ensemble de l’écosystème et qu’elle est le facteur commun à toutes les espèces (Sourate 2 Verset 22). En accord avec ces principes religieux, les Mahorais se doivent de partager l’eau, le pâturage et le feu (combustible). L’eau et sa ressource appartiennent donc à l’ensemble de la communauté et les Mahorais sont tous des vices – régents de la ressource en eau. Cette dernière doit être utilisée de façon durable et partagée entre l’homme, la faune et la flore.
La purification dans cette vie et dans le passage vers une autre vie
En effet, la survie et la bonne santé de tous les êtres humains dépendent de l’eau, mais pour les musulmans de Mayotte, elle constitue un élément sacralisé dans le quotidien des fidèles: lors des ablutions, c’est-à-dire le lavage avant chaque prière (wudu), le bain de purification après tout rapport sexuel (Djanaba), à la fin des menstruations (hidhui), après les (20 ou 40) ièmes jours après l’accouchement « nifassi », ensuite avant chaque lecture du Coran, et pour se nettoyer après un passage aux toilettes, et enfin, pour la toilette mortuaire comprenant l’usage d’eau chaude, une fois le corps ensevelit, on arrose la tombe avec de l’eau propre. Cette représentation proche des symboles de la vie quotidienne rassure les fidèles à l’éventualité d’une meilleure renaissance dans l’autre monde, telle une semence qu’on arrose pour la faire germer. « Allah a fait descendre du ciel une eau par laquelle il fait revivre la terre après sa mort » (Sourate 16 Verset 65).
Conclusion
Les politiques publiques doivent intégrer la maitrise de la gestion de l’eau telle une préoccupation centrale. Il est nécessaire d’apprendre à faire du management des risques, de savoir en faire l’analyse pour mieux prévenir. D’où l’intérêt d’en parler avec la population et les élus pour dégager ensemble des solutions. Aujourd’hui ces ressources en eau subissent énormément de pressions démographiques. Elles sont devenues des lieux de lavage de lessive et de voiture. Cela peut-il continuer ? Des lieux d’habitation, des lieux de dépôt des déchets sauvages. Que faire? Comment expliquer que la société mahoraise soit marquée par sa dysharmonie avec la nature ? Alors que la richesse de la nature, terrestre, mahoraise, constitue, un atout pour le développement de l’île.
Salim Mouhoutar
Auteur et conférencier
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