Nous avions écrit qu’en terme de visibilité, il était plus facile pour un élu de financer un gymnase que l’action sociale, et Issa Issa Abdou, 4ème vice-président du Département chargé de l’Action sociale, rajoute, « et elle coûte plus cher ! » Nous l’avons donc interpellé sur les actions que mène le Département pour ramener le calme dans les villages, financées par les dizaines de millions d’euros de compensation débloqués par l’Etat, 42 millions d’euros pour l’Aide Sociale à l’Enfance et 180 millions d’euros pour les PMI (Protection Maternelle Infantile).
Nous n’avons pas entendu la voix du conseil départemental sur les évènements de Combani…
Issa Issa Abdou : « En effet, et je veux dire mon indignation sur le déchainement de violence entre ces jeunes, ce spectacle de désolation, ces images insupportables. Je ne reconnais pas notre île. Garantir la circulation, c’est évidemment le rôle de l’Etat, et je salue la déclaration du préfet qui fait peser une menace sur les titres de séjour. Mais il faut aller plus loin sur le plan politique. La question du séjour ‘made in Mayotte’, avec impossibilité de quitter le territoire, n’est pas supportable. Il faut permettre une circulation des titres de séjour à l’extérieur de l’île. Car le sénateur Thani a raison en reliant délinquance et immigration, sans pouvoir satisfaire tous les besoins, les personnes concernées vont utiliser tous les moyens nécessaires. Il faut nous aider sur ce sujet. »
Qu’active le conseil départemental pour encadrer ces jeunes ? Qui sont-ils ?
Issa Issa Abdou : « Nous n’avons pas identifié ceux qui s’affrontent à Combani. Mais la question des mineurs isolés ne doit plus se poser. En tout cas, sur les 4.000 identifiés par le sociologue David Guyot, 300 sont strictement isolés, c’est à dire sans référent parental, et ceux-là sont chez nous, ils sont placés. Ceux qui sont dehors ont donc un référent parental. Et la question de la parentalité, c’est de notre responsabilité. Nos services de prévention spécialisée identifient les jeunes à problème, et ils sont confiés aux associations que nous subventionnons. Les Céméa et Mlézi notamment sont axés sur ce travail, mais d’autres comme le centre culturel et éducatif de Kawéni ont mené une campagne de prévention contre la délinquance et la violence juvénile.
Le conseil Cadial est largement mobilisé sur ce sujet. Les cadis sont intervenus avec efficacité lors des conflits à Hamouro, Mtsamoudou, mais nos services nous font remonter qu’il y a nécessité de passer régulièrement dans les villages pour parler de morale à ces jeunes.
Mais attention, au regard du code civil, si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice. Donc, si nous devions faire une application stricte de ce texte, on devrait placer les trois-quarts des enfants de Mayotte. Cela n’étant pas possible eu égard aux moyens, on est obligé de traiter les cas les plus pressants.
Chose importante, ce ne sont pas les enfants pris en charge par l’ASE qui sont condamnés pour ces actes. Les chiffres de la PJJ sont clairs là-dessus. Et ces mineurs connus de la justice ne sont pas toujours isolés. C’est souvent avec une mère seule ou remariée avec beaucoup d’enfants en charge. Souvent des mères d’origine comorienne et parfois des papas français. En somme, probablement sans l’ASE, la situation serait pire ! »
« Le travail est gigantesque »
Plusieurs élus évoquent le manque de visibilité sur vos actions, et vous accusent d’un autre côté de trop en faire pour l’action sociale.
Issa Issa Abdou : « Mayotte a besoin de tout le monde, ce contexte ne doit pas prêter à polémique. Surtout que ceux qui critiquent ont été aux manettes, et que l’action sociale était inexistante, avec un élu qui déposait plainte contre son DGA lorsque nous sommes arrivés. Nous sommes allés chercher les moyens de nos ambitions avec une méthodologie claire. D’abord, une demande d’audit à l’IGAS, l’Inspection générale des Affaires Sociales, puis, la création de deux directions, dont celle de l’enfance et des familles, avec un Schéma directeur accompagné par les financements nécessaires. Et nous l’avons totalement réalisé. Tout d’abord en consolidant les 187 familles d’accueil, où 704 enfants sont placés, avec 16 nouvelles familles à venir, puis en ayant désigné après appel à projets, les activités en milieu ouvert, les lieux de vie et d’Accueil, les lieux de vie à caractère social, et spécialisés, etc. Je rappelle que l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO) que nous finançons à travers Mlézi, est en capacité de prendre en charge 400 mineurs, avec un travail mené avec les familles.
Les mêmes personnes qui s’énervaient sur des millions qui partaient aux étrangers, trouvent aujourd’hui qu’on n’en fait pas assez au regard des violences dans la rue. Si nous avions réussi à prendre 4.000 enfants en charge, nous n’en serions pas là. Le travail est gigantesque. »
Des acteurs nous font remonter une perte de vitesse de l’action sociale au département ces derniers mois…
Issa Issa Abdou : “C’est vrai, à la suite du départ d’un de nos directeurs piliers. Mais le poste est en train d’être pourvu.”
Nous avions évoqué ensemble l’absence d’application ici de la circulaire Taubira de 2013 d’amélioration de répartition entre départements des mineurs isolés étrangers. D’autres pistes sont-elles étudiées ?
Issa Issa Abdou : « L’une d’elle est toujours de tenter de retrouver les parents de ces jeunes aux Comores, ce qu’avait entrepris l’association Tama (ex-Mlézi). Mais dans le prochain schéma de l’enfance et des Familles 2021-2026, pourquoi ne pas proposer des séjours de rupture dans les pays voisins comme le Kenya ou le Sénégal, pour que ces jeunes suivent une formation encadrée à un métier. L’Etat doit en amont fermer le robinet assumant sa mission régalienne de lutte contre l’immigration clandestine, et en aval, trouver des solutions pour prendre en charge ces jeunes en dehors du territoire. De la même manière, les bacheliers doivent pouvoir sortir pour poursuivre leurs études. Nous ne nous en sortirons pas, si entre l’amont et l’aval, la population à prendre en charge continue à augmenter. Et avec des titres de séjour qui ne peuvent quitter le territoire. Depuis le temps qu’on parle de bombe, c’est sûr, ça allait éclater.
Mais je ne suis pas découragé pour autant. Il faut préparer le coup d’après, et sécuriser les compensations de l’Etat à la hausse, avec une prise en charge toujours supérieure. Nous laisserons à nos successeurs un Schéma bouclé avec les financements correspondants ».
La suite assurée
Travaillez vous étroitement avec les élus de proximité que sont les maires pour encadrer les jeunes ?
Issa Issa Abdou : « Nous avons commencé notre mandat par un tour des mairies avec le président Soibahadine Ramadani. Puis, nous avons signé des conventions de partenariats avec les Centres Communaux d’action sociale (CCAS) naissants, et nous les avons accompagnés sur les Analyses des Besoins sociaux, les ABS, la Bible ou le Coran des CCAS ! Nous allons tâcher de mettre en place un Séminaire semblable à celui qu’organise la préfecture, pour rassembler les nouveaux maires. »
L’action sociale est-elle désormais sécurisée au conseil départemental ? Ne risque-t-on pas d’assister à un retour en arrière après les élections de 2021 ?
Issa Issa Abdou : « La compensation est bordée avec Paris, les bases sont solides. C’est le Schéma qui donne le tempo. Même si tout n’est pas encore parfait, les équipes sont là, le matériel aussi. Et pour la suite, il en va de la responsabilité politique. C’est de l’avenir du département qu’il s’agit. »
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Comments are closed.