Le plan d’action contre le braconnage chapeauté par l’ancien préfet Colombet porte ses fruits, mais le message de la justice n’est pas forcément à la hauteur selon les associations environnementales qui se constituent partie-civile à chaque procès de braconniers.
Trois d’entre eux, un Français et deux Comoriens en situation régulière -c’est assez rare en matière de braconnage pour être précisé- ont comparu ce vendredi après avoir été interpellé grâce aux associations déployées en Petite Terre, à leur partenariat avec la gendarmerie maritime, et à l’intervention de policiers hors service. L’un d’eux a d’ailleurs été blessé à la main quand un braconnier a tenté de fuir en grimpant à un arbre qui a cassé sous son poids, le faisant tomber sur le fonctionnaire.
Le temps de faire intervenir les forces de l’ordre, les malfaiteurs ont réussi à dépecer une tortue, et d’emporter 71kg de viande. Une opération menée avec une “précision chirurgicale”, sans lumière, et sans mettre “un grain de sable” dans la viande, illustre le procureur Yann Le Bris, qui y voit la preuve que l’équipe est très expérimentée. Comme quasiment tous les braconniers, ceux-ci ont toutefois tenté de convaincre à la barre que c’était leur “première fois” et que la viande était destinée à leur “consommation personnelle”. Une thèse à laquelle “personne ne croit” a assené le procureur.
La plage de Petit Moya est prisée des braconniers. Une recrudescence de pontes y est enregistrée depuis que la subsidence de l’île aurait conduit de nombreuses tortues à se détourner des autres plages de Petite Terre au profit de celle-ci… qui est du coup particulièrement surveillée.
Des peines sévères pour les juristes, mais incomprises des justiciables
A l’issue d’un procès en comparution immédiate qui s’est tenu jusque tard dans la soirée de vendredi, les tueurs de tortue ont écopé de peines sans incarcération immédiate : 6 mois ferme pour un jeune qui n’aurait pas participé à la mise à mort de la tortue mais en aurait simplement transporté la viande, et 12 mois ferme pour les deux autres qui ont tué et dépecé l’animal protégé.
Or, la prison “ferme” n’est pas toujours synonyme d’incarcération. En deçà de 6 mois, la règle est d’aménager la peine (au moyen par exemple d’un bracelet électronique). entre 6 et 12 mois, la peine “ferme” peut être aménagée ” si la situation et la personnalité du condamné le permettent”. Il n’y a d’incarcération que si le juge prononce le mandat de dépôt. Au delà de 12 mois (ou 24 mois pour les infractions commises avant le 24 mars 2020), l’incarcération est automatique.
Là, en l’absence de mandat de dépôt, la condamnation des trois prévenus est désormais entre les mains du juge d’application des peines. En attendant leur convocation devant ce dernier, les trois complices ont donc repris la barge… avec les bénévoles venus témoigner contre eux quelques minutes plus tôt. Et au lieu de faire profil bas, ces derniers les y ont trouvés “moqueurs”, voire “provoquants”, et redoutent “un risque non négligeable de récidive”.
De quoi s’interroger sur le sens de ces condamnations à de la prison “ferme” mais sans mandat de dépôt, qui sont souvent mal comprises par les condamnés eux-mêmes, autorisés à rentrer chez eux. Un proche des braconniers en a même déduit qu’il s’agissait d’un “sursis”. Après cette condamnation qui n’est ferme que sur le papier, le procureur pourrait décider de faire appel, il a 10 jours pour cela.
En 2020, la chambre d’appel avait en effet prononcé 2 ans ferme avec mandat d’arrêt pour deux braconniers. En mai dernier, c’était 18 mois ferme qui étaient prononcés, toujours en appel, toujours à la demande du parquet, et toujours avec un mandat d’arrêt, l’absence d’incarcération en première instance ayant permis aux condamnés de disparaître dans la nature. Un cas de figure moins probable dans ce cas précis, au regard de la situation administrative des condamnés, insérés à Mayotte.
Y.D.
Photos @OFB
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