Lorsque l’on pense aux professionnels de santé, certains sont oubliés, pourtant toujours au poste derrière leurs comptoirs, face aux files de patients. Les pharmaciens sont en effet indispensables à la population, pour la fournir en soins et la conseiller. Cette seconde dimension est particulièrement palpable dans le 101ème département français, comme l’explique le Docteur Nadi Eid, président de l’Union de Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) à Mayotte. « Du fait de la faible offre médicale, les patients viennent nous voir en premier recours pour des soins, explique le titulaire de la pharmacie du Centre, à Mamoudzou. À mon sens, le rôle du pharmacien est bien plus intéressant à Mayotte, l’exercice est plus agréable. »
Des livraisons qui se font attendre
Si tous les départements de France bénéficient de la même réglementation, d’autres différences sont inhérentes à Mayotte, notamment sur le plan des pathologies. Le diabète, qui touchait plus d’une personne sur dix en 2019, nécessite même une « reformation » des pharmaciens lors de leur arrivée sur l’île. Les problèmes dermatologiques sont aussi plus fréquents qu’en métropole. Autre tare, commune à tous les territoires d’Outre-Mer, le délai de livraison des médicaments.
« Notre éloignement fait que nous devons jouer avec les ruptures, et travailler avec les médecins afin d’adapter les traitements, ajoute le Docteur Eid. En métropole, on peut tout avoir en 24 heures, mais il faut compter une semaine, voire dix jours, pour faire venir le matériel en urgence à Mayotte. » Lorsqu’il n’y a pas d’urgence, comme pour les produits de parapharmacie, les délais peuvent fortement se rallonger, comme l’affirme Johanna Aime, préparatrice en pharmacie à Trévani : « Nous avons passé commande en novembre 2020, et le conteneur n’est arrivé que la semaine dernière. On s’est donc retrouvés avec des rayons vides ».
Relever les défis du dépistage et de la vaccination
Depuis quelques mois, les employés des pharmacies françaises sont aussi en charge d’autres missions liées à l’endiguement de la Covid, et notamment des tests antigéniques. Une logistique qui a d’abord été difficile à mettre en place, les décrets nationaux n’étant pas forcément adaptés aux particularités du territoire mahorais. « Faire un test ne prend pas beaucoup de temps, continue Johanna Aime. Mais, après, il faut saisir tous les résultats sur le site de l’État, ce qui est long. » Sur l’île aux parfums, les tests en pharmacie n’ont débuté qu’une semaine après la métropole, un délai dont se félicite le Docteur Nadi Eid. « Il y a un vrai engouement chez les pharmaciens de Mayotte, toujours au premier plan sur les innovations, affirme-t-il. Mes confrères sont en amont des nouvelles missions, pour rendre service à la population. »
À Pamandzi, à l’instar d’autres établissements de l’île, la pharmacie a même été convertie en centre de vaccination, où se pressent chaque jour des dizaines de personnes. Youssef Ben Kouidar, docteur en pharmacie de la commune de Petite Terre, a observé « une grosse demande, surtout liée aux voyages ». Située à quelques hectomètres de l’aéroport international, la pharmacie de Pamandzi a en effet dû s’adapter. « C’était hyper compliqué, avoue Youssef Ben Kouidar. Nous devions recruter du personnel en plus, ce que le titulaire a fait rapidement. Le fait que nous puissions assurer le dépistage et la vaccination est une bonne chose, ça nous permet de répondre aux besoins de la population. »
« La pharmacie de Tsararano, c’est Fort Knox ! »
Cette dévotion des pharmaciens de Mayotte, généralement ressentie par la population de l’île, est néanmoins mise à mal par la délinquance, omniprésente ces dernières années. Les officines mahoraises ne sont en effet pas à l’abri des échauffourées et des vols avec effraction. « Depuis fin 2020, une dizaine de cambriolages a été remontée à l’Ordre National des Pharmaciens, affirme le Docteur Eid. La pharmacie du Baobab l’a été deux fois, celle de Trévani s’est fait exploser la vitre à coups de parpaing… Allez voir la pharmacie de Tsararano, c’est Fort Knox ! »
Régulièrement reçus par la préfecture, les pharmaciens de l’île ont vu leur responsable ordinal, le chef de service de la pharmacie centrale du CHM, être entendu par le cabinet du ministère de l’Intérieur après tous ces faits de délinquance. Malgré tout, ces difficultés ne semblent pas éroder la solidarité et la motivation des employés des officines mahoraises, encore et toujours présents.
Axel Nodinot
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