En métropole, Mayotte est connue pour sa délinquance. Mais sans réelle réponse à la hauteur des faits, qui s’ils se produisaient de manière similaire à Paris, Bordeaux ou Aix en Provence, impliquerait une réponse immédiate des pouvoirs publics. Las de ce silence assourdissant, les habitants avaient manifesté leur détresse en 2018. Mais un outre-mer pouvant en cacher un autre, les violences étaient régulièrement mis sous le coup de réactions identitaires ou communautaires, sans que la spécificité de Mayotte soit prise en compte. C’est désormais chose faite et le rapport que vient de sortir le Sénat et que nous avons pu consulter, fera date.
« Les échanges ont été sans fard, les acteurs de la sécurité publique ont livré un constat collant à leur vécu », nous avait rapporté le sénateur Thani Mohamed Soilihi, membre de la mission sénatoriale qui s’est déplacée sur l’île en septembre 2021.
Evaluée en quantité et en qualité, la « situation sécuritaire spécifique et particulièrement préoccupante » du territoire s’étale sur une soixantaine de pages, et fait l’objet de 16 propositions. Certaines sont connues et appellent à renforcer les moyens, d’autres sont plus précises en incitant notamment les pouvoirs publics à ne pas laisser les citoyens être les seuls acteurs de la prévention de la délinquance.
Lors de leur déplacement à Mayotte en septembre dernier, les membres de la commission des lois du Sénat ont pu « mesurer la spécificité de la question sécuritaire à Mayotte (…) qui est d’abord celle d’une insécurité qui s’inscrit dans le temps long et qui est grandissante. Souvent le fait de jeunes, y compris de mineurs, la délinquance à Mayotte se traduit par des faits d’une particulière brutalité ». Est cité à titre d’exemple, le meurtre d’un lycéen au mois d’avril 2021 au moyen d’un tournevis.
« Le degré ahurissant de violence »
Cette délinquance juvénile est jugée comme « un phénomène difficile à quantifier avec précision ». En revanche, les témoignages le sont eux, précis. Le commandant de la gendarmerie Olivier Capelle, a indiqué aux sénateurs « le degré ahurissant de violence à l’encontre des forces de l’ordre », et l’expérimenté directeur territorial de la police nationale (DTPN), Laurent Simonin, a pour sa part estimé que «le niveau de délinquance ne permet pas aux habitants de l’île de mener une vie normale». Le rapport ne peut donc que constater que « le degré de violence ressenti par la société mahoraise est donc, de l’avis général, particulièrement élevé ».
Ce constat fait, il est compliqué de mettre les moyens en phase avec les besoins en raison d’une difficulté d’appréhender le volume de cette délinquance, « mesurer la délinquance est une entreprise délicate », avait-il été constaté en métropole. C’est pourquoi l’INSEE a mis en place sur le plan national l’enquête de victimation, appliquée à Mayotte seulement en 2019 et dont nous nous étions fait l’écho.
Sur la même longueur d’onde en matière de sous-estimation de la délinquance Laurent Simonin (Police), estime que «les chiffres des violences et des atteintes sexuelles ne correspondent pas à la réalité » et Olivier Capelle (Gendarmerie) juge qu’ «il semble évident qu’une part de la délinquance échappe à nos constatations statistiques ».
Le procureur de la République à Mayotte Yann Le Bris, en donne quatre raisons : « le recensement imparfait de la population, qui sous-évaluerait la population effectivement présente sur l’île et fausserait toute tentative de constituer des ratios pertinents », « l’alphabétisation encore insuffisante de la population résidant à Mayotte, qui empêcherait certaines personnes ne maîtrisant pas suffisamment le français de se présenter comme victimes », « la méfiance envers les forces de l’ordre d’une partie importante de la population dont le statut administratif est irrégulier et « le défaut d’une culture du droit et d’un réflexe judiciaire au sein de la population, conduisant au règlement de conflits hors de l’institution judiciaire, au sein de la famille ou du village, par un dédommagement financier ou le recours à la violence ».
Bandes et subsistance, deux des caractéristiques
Une sous-estimation qui ne parvient pas pour autant à cacher la forêt, puisque depuis 2008, le nombre annuel de coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus est passé de 594 en 2008 à 1.506 en 2019, soit une hausse de 153,5 %, rappelle le rapport.
Les conséquences de cette délinquance sont désormais connues en métropole grâce à ce rapport : « développement économique insuffisant et couverture parcellaire du territoire par les services publics notamment », « diminution de l’attractivité du territoire pour les agents de la fonction publique venus de l’Hexagone ».
Pour qualifier cette délinquance essentiellement juvénile, deux causes sont évoquées, « une délinquance de subsistance, qui se traduit par l’appropriation de biens d’autrui, y compris par la violence » et « une délinquance aux motifs incertains, généralement perpétrée en bandes, qui peut notamment viser la commission de violences gratuites ».
Le lien est fait la forte pression migratoire, en raison de l’ « errance de nombreux jeunes » dont une partie n’est pas scolarisée. La préfecture de Mayotte a indiqué aux rapporteurs qu’une «nette hausse des arrivées est constatée à Mayotte depuis août 2020 », estimant qu’à « moyens de détection constants, le nombre de “kwassas” entrant à Mayotte (…) a augmenté de 30 % entre la période allant du mois de septembre 2019 au mois d’août 2020 et celle des douze derniers mois (septembre 2020 – août 2021). »
En découlent 16 propositions (Consulter la Liste des propositions des sénateurs), englobant le renfort en forces de l’ordre, « le niveau de violence que rencontrent les fonctionnaires de police sur place se traduit ainsi par la recrudescence de blessures en service », et en acteurs judiciaires, l’accompagnement des collectivités locales dans leur combat contre l’insécurité, et la prévention. Deux dispositifs sont cités, celui des élèves pairs dans les établissements qui créent du lien et celui des classes défense.
En terme de prévention, les sénateurs recommandent de « Développer les initiatives des pouvoirs publics en matière de prévention de la délinquance afin de ne pas laisser cette prévention à des groupes d’auto-défense », d’engager une réflexion, dans la continuité des récentes évolutions s’agissant de la police nationale, sur d’éventuelles améliorations de l’organisation des forces de gendarmerie sur le territoire ou d’évaluer l’opportunité de la création d’un PSIG dans le sud de Grande Terre.
En matière de lutte contre l’immigration clandestine, on retrouve la préconisation du ministre Darmanin qui prolonge la mesure du sénateur Thani en demandant d’allonger le temps de présence en situation régulière sur le territoire d’un des parents dans les mois qui précèdent la naissance d’un enfant.
Les mesures évoquées sont donc un condensé de pas mal de suggestions lancées ça et là par le passé, mais le rapport est indéniablement précieux pour les témoignages des acteurs de maintien de l’ordre public, judiciaires ou éducatifs.
Anne Perzo-Lafond
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