Alors qu’en octobre dernier, le docteur Pierre Sans avait jeté une lumière crue sur l’état de la psychiatrie à Mayotte, ce fait divers semblait abonder dans le sens de son délitement. Pourtant, face à l’incompréhension et la colère suscitées par la libération de l’individu, l’intérêt s’est porté sur la compréhension du protocole psychiatrique à Mayotte ainsi que les mesures mises en place pour résorber les lacunes qui sévissent au niveau des services de santé mentale.
Un protocole sanitaire strict pour les hospitalisations complètes
« L’idée ce n’est pas de dire que tout va bien, on a conscience des problèmes mais on apporte des réponses et on essaye de les mettre en place ». La lucidité est de mise dans les propos de Patrick Boutié, directeur par intérim de l’offre de soins et de l’autonomie à l’ARS. « Dans le fait-divers de Mtsangamouji, il y a eu un trouble à l’ordre public, une catégorie qui nécessite des soins sur décision du représentant de l’Etat. Les forces de l’ordre ont conduit l’individu aux urgences de Mamoudzou qui est la « porte d’entrée ». Là, une première évaluation se fait par un médecin généraliste qui constate le trouble à l’ordre public provoqué par un état de démence ou autre. Ce diagnostic est confirmé ou infirmé au plus tard dans les 24h qui suivent par un psychiatre. En l’occurrence c’est ce qui s’est passé dans ce fait divers », explique Patrick Boutié.
En cas de confirmation du diagnostic par le psychiatre, l’hospitalisation complète se poursuit avec une évaluation à 3 jours et un passage devant le juge des libertés entre le 8e et le 15e jour afin « de respecter les droits du patient ». Des diagnostics de réévaluation mensuels sont prévus afin de déterminer la nécessité ou non de poursuivre l’hospitalisation complète. En cas d’amélioration de l’état, « on lui prescrit un programme de soin en ambulatoire », détaille Patrick Boutié. A l’heure actuelle, 130 à 140 mesures de soins psychiatriques sont à dénombrer sur l’ensemble du territoire. « Tout trouble psychique, avertit le directeur, ne nécessite pas une hospitalisation en psychiatrie ».
Un effet ciseau à l’origine de la crise de la psychiatrie à Mayotte
« Oui la psychiatre à Mayotte est faible, et oui elle n’est pas ajustée à ce qu’elle devrait être », concède le directeur. Pourquoi une telle situation ? « On a une double peine en cumulant l’effet psychiatrie, parent pauvre de la médecine au niveau national, et le manque d’attractivité au niveau local », concède Patrick Boutié. Il poursuit, « les moyens sont donnés, ce n’est pas une sous dotation, c’est un problème de recrutement, on n’arrive pas à recruter ». Une problématique telle qu’à « un moment de la pandémie, la psychiatrie ne tournait qu’avec des intérimaires et des renforts de santé publique France. Le plan d’action à très court terme de l’ARS a été de mobiliser la réserve sanitaire sur la psychiatrie.».
Un agrandissement des services de psychiatrie sur Petite-Terre
Autre facteur de cette crise de la psychiatrie : la gouvernance. « Elle était mal affirmée au
sein du CHM ». Avant janvier 2022, « le service de psychiatrie du CHM était inclus dans un pôle médecine-réadaptation-rééducation-psychiatrie. On l’a sorti de ce cadre pour faciliter le recrutement de personnel compétent. Depuis janvier, au CHM il y a le pôle Santé mentale (SAME) ». D’ici décembre de cette année, ce service va être délocalisé en Petite-Terre, dans l’ancienne maternité et permanence de soins de Dzaoudzi. Les 10 lits actuellement disponible du service SAME constitueront le quartier enfant et adolescent. Sont également prévus, à quelques mois d’intervalle, 20 nouveaux lits pour composer le quartier adulte. Une situation salvatrice, « on a un seul secteur actuellement qui mélange enfant et adulte au CHM, on est en dehors des clous. A Dzaoudzi, on aura un secteur enfant bien distinct du service adulte », se réjouit le directeur.
Ces nouveaux lits soulèvent incontestablement la question du recrutement. « Pour attirer du nouveau personnel il faut ce que l’on appelle un projet de pôle, explique le directeur. Le projet de soin est très important parce qu’il va définir le protocole ainsi que les modes d’hospitalisation entre la psychiatrie et les centres Médico-Psychologiques ».
« Plusieurs fiches actions ont été retenues »
Si les services de santé mentale vont s’agrandir dans un futur proche, quelles sont les avancées concrètes depuis juin 2021, date de validation du Projet territorial de santé mentale (PTSM) pour la période 2021-2025 ? « Le 26 avril dernier, souligne Pierre Boutié, nous avons retenu plusieurs fiches actions dont la création de la cellule d’urgence médico-psychologique. Il s’agit de pouvoir déployer en cas d’événement marquant de grande ampleur une cellule de soutien. A l’heure actuelle on dépend de La Réunion mais on travaille pour que Mayotte soit dotée de sa propre cellule. La fiche action valorisation du métier de médiateur culturel a également été retenue. L’objectif est de prendre en compte les dimensions culturelles, religieuses et traditionnelles pour qu’elles soient intégrées dans le cadre de la santé mentale en général ».
La Maison de santé mentale, une concrétisation qui a fait couler beaucoup d’encre
La Maison de la santé mentale de Combani, née à la suite du PTSM, constitue une avancée notable. La volonté affichée était alors de réunir dans un même « lieu un centre-médico psychologique, une maison départementale des adolescents et les travailleurs sociaux pour que tout le monde puisse se parler pour déminer les problématiques en amont. C’est un projet qui a été fait par les acteurs du territoire et soutenu par l’ARS », détaille Patrick Boutié.
Deux prometteurs ont soutenu ce projet, le CHM pour la partie psychiatrie et Mlezi Maoré la partie sociale et médico-sociale. Pour appuyer ce partage de compétences, le directeur n’a pas hésité à insister sur la portée de cette implication, « c’est bien le centre hospitalier qui a l’autorisation sanitaire pour faire de la psychiatrie », une allusion directe aux inquiétudes soulevées par le docteur Pierre Sans. L’objectif serait d’ouvrir d’autres structures afin de résorber les « zones blanches » en cas de résultat probant.
Une stratégie des petits pas fait de volonté et de patience
Par ailleurs, un nouveau groupe d’entraide mutuelle a été créé. Qu’il s’agisse de ceux de Combani, Passamainty ou Cavani, ces groupes sont là pour rompre l’isolement en proposant des activités à des personnes reconnues comme malades et en situation de souffrances psychiques. « Tout prend du temps quand il s’agit de santé surtout au niveau des résultats. On est en train de signer des contrats locaux de santé avec les communes et on va intégrer un volet santé mentale sur une partie cohésion sociale. Un projet qui va se mettre en place petit à petit ». Toutefois, les résultats ne se verront qu’à long terme, un décalage qui laisse craindre une incompréhension de la part de la population. Patrick Boutié ne se laisse pas pour autant abattre, « Nous ne faisons pas pour faire, nous faisons parce que les projets sont réfléchis ».
Pierre Mouysset
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