Entre l’insouciance des uns et la peur des autres, une radicalisation de l’islam est-elle possible à Mayotte ? L’adjoint du Grand Cadi, Mohamed Nassur El Mamouni nous livre son avis.
Les médias locaux reflètent depuis quelques semaines la peur de chacun devant le fondamentalisme religieux.
« C’est un islam traditionnel basé sur la tolérance des différences qui a jusqu’ici guidé la société mahoraise », affiche Mohamed Nassur El Mamouni, adjoint du Grand cadi et chargé de l’avenir de la justice cadiale à Mayotte.
La départementalisation de ce territoire que l’on a l’habitude de configurer comme étant à 95% musulman, a bouleversé la donne. C’est en effet une première en France, et l’application brutale du droit commun a laissé la société comme sonnée. « Avec l’abandon des cadis, nous n’avons plus de régulation et de maintien de ce cap de tolérance qui doit prévenir toute radicalisation ».
Pour Mohamed Nassur El Mamouni, plusieurs éléments sont à prendre en compte si on veut éviter de faire de l’angélisme : « la toile, internet, qui véhicule beaucoup de choses, et l’absence récente de maitrise des enfants par les parents, autant d’espaces qui peuvent être exploités par des acteurs favorables à la radicalisation ».
Et pour cela, il faut commencer par informer selon lui. « Expliquer que le jihad, ça n’est pas planter un couteau dans le ventre de son ennemi, mais c’est au contraire la recherche du bien-être de la société. Une sourate entière évoque Dieu montrant que la sciences est un véritable guide, le savoir est primordial ».
Interprétations du Coran
C’est ainsi que les madras et écoles coraniques doivent être vues comme des lieux de savoirs et rien d’autre, « il faut un programme d’enseignement pour orienter les enfants sans quoi on risque d’avoir du tout-venant à Mayotte ». Une population bien informée pour ne pas risquer de tomber dans les travers de la crédulité.
Il rejoint tout à fait le député Ibrahim Aboubacar sur sa proposition légale de créer une administration cadiale, « il nous faut des personnes en capacité d’enseigner. C’est le cas des cadis qui sont tous des universitaires, mais qui ont un problème, il ne maitrisent pas la langue française ».
De son côté, El Mamouni enseigne tous les jeudis auprès des oulémas (scientifiques), « et je n’ai pas perçu de tendance à la radicalisation auprès de ces jeunes », assure-t-il. Il sait que certains tentent de perturber la tradition mahoraise, « comme la proposition d’une autre date pour l’Ide, calquée non sur le sacrifice, mais sur La Mecque et son pèlerinage », mais ils ne sont pas nombreux, dit-il, « à peine une dizaine ».
Il en va de l’interprétation du Coran. « Par exemple, les fondamentalistes assènent que celui qui a tué doit être tué. Or, il est écrit dans le Coran que tout individu qui a commis un délit doit être jugé à la hauteur de son délit. Ils interprètent sans aller dans le sens de Dieu. Nous sommes à l’extérieur du champ religieux ».
Instruire pour ne pas laisser prise aux discours fondamentalistes, c’est le crédo de Mahamoud Nassur El Mamouni, qui est certain que c’est aussi le meilleur chemin pour aller vers le droit commun français.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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