CARNET DE JUSTICE DU JDM. Il est condamné à vendre son bateau. C’est de toute façon la seule issue pour parvenir à s’acquitter des sommes astronomiques qu’on lui réclame : 130.000 euros ! Ce n’est pas souvent que de tels montants sont évoqués au tribunal de Mamoudzou. Mais le prévenu sait très bien qu’il a beaucoup trop laissé traîner les choses… «Phobie administrative», l’expression est à la mode.
En réalité, c’est l’histoire d’un passionné de pêche de 39 ans qui aime la mer plus que tout, et qui est, en revanche, tout à fait étranger à la notion de contrat à signer, d’imprimés de sécu à remplir ou de cotisation à verser. Toutes ces démarches, pour lui, ça n’existe pas. Bien sûr, il sait bien qu’il faut les faire mais, ce sera pour demain. Ou après-demain. Ou plus exactement… pour jamais. Pendant des années, les obligations administratives se sont empilées sur son bureau. Et pendant des années, il a laissé courir… jusqu’au mois de juin dernier ou le système administratif français a fini par le rattraper.
Patron pêcheur malgré lui
Dès l’âge de 17 ans, il a pris des responsabilités auprès de son père, un autre grand amateur de pêche. Ensemble, ils sont beaucoup partis sur des barques. Et puis, l’opportunité de ce gros bateau s’est présentée. Largement subventionné, cet achat permet au business du père et du fils de changer de dimension. «C’est peut-être le plus grand bateau de pêche qui ait été subventionné à Mayotte», explique son avocat, Me Kondé.
Finalement, le fils se retrouve tout seul à la tête de l’affaire. Pendant plusieurs années, les pêches sont excellentes, le rythme des sorties intense mais notre patron pêcheur a tendance à oublier que «ça entraîne des responsabilités», relève Me Kondé. Contrats, feuilles de paye, cotisations sociales, déclarations d’impôts… quasiment rien n’est effectué. Tout se fait de la main à la main, sans pour autant que cela relève d’une volonté de gruger. «Négligence et déficit de formation pour s’y retrouver, remplir les formulaires et appliquer les bons taux», affirme Me Kondé.
Il finit par être dénoncé à la DIECCTE et la direction des entreprises et de l’emploi le convoque plusieurs fois pour l’inviter à remettre les choses en ordre. Il récupère également des modèles de contrats de travail auprès de la COPEMAY, la coopérative des pêcheurs à laquelle il vend son poisson. Mais il n’ira jamais jusqu’à les remplir.
En juin, c’est finalement au commissariat qu’il est convoqué. Du jour au lendemain, finie la pêche et place à la calculette. Le bateau est saisi mais sans dépossession. Il a simplement l’interdiction de l’utiliser, de partir avec ou de le vendre…
Un acheteur à La Réunion
Il a pourtant un acheteur, véritablement intéressé pour reprendre le navire. Depuis La Réunion, il s’impatiente d’ailleurs voyant le jugement de l’affaire sans cesse repoussé. Et c’est lui qui va peut-être sauver notre pêcheur de la noyade financière. Il pourrait lui racheter le bateau pour 130.000 euros.
Car le tribunal demande au patron pêcheur de rembourser ses années d’inconscience : pour la caisse de sécurité sociale, 50.000€. Pour le Trésor public, 40.000€. Si on ajoute une partie du transport à La Réunion où se trouve l’acheteur et le ponton (sa dette auprès du port de Mamoudzou approche les 15.000 euros. Toujours cette phobie de remplir les papiers…), on atteint les 115.000 euros. Rajoutez 15.000 euros d’amende et il ne reste rien de toutes ces belles années de pêche.
Le tribunal a ordonné la levée des scellés pour permettre la transaction. Ca tombe bien, notre pêcheur est pressé de tourner la page… Il devra tout de même parvenir à rassembler les 130.000€ qu’il doit consigner en moins de 2 mois. Mais ensuite, fini de jouer au grand patron. S’il va continuer à vivre pour la pêche, il est bien décidé à retrouver les petites barques avec lesquelles il aimait partir du temps où il pêchait avec son père. RR Le Journal de Mayotte
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