Où sont les hommes ? C’est ce que l’on pourrait dire à l’issue de la conférence qui se tenait ce samedi matin à Pamandzi. Ce sont en effet les femmes qui ont surtout fait, et défait, l’histoire de Mayotte. Zena M’dere, qui était mise à l’honneur sur l’ensemble du week-end, Bwéni M’titi, Zaïna Méresse, Coco Djoumoi, Zakia Madi, n’ont pas été là par hasard…
C’est la première fois que Mayotte offre une telle plage à son Histoire en dehors de la sphère confinée de ses chercheurs et des revues spécialisées. C’est donc un événement médiatisé qui était proposé à la population mahoraise à Pamandzi, une population toujours en quête d’identité, partagée qu’elle est entre une départementalisation acquise par les aînés d’un côté, et de l’autre, des frères et sœurs comoriens qui frappent quotidiennement à sa porte. On deviendrait schizophrène pour moins que ça !
Mayotte pourrait d’ailleurs le devenir si le témoin n’est pas transmis : « la connaissance de ce qui a nourri notre histoire permettra une meilleure compréhension de nos choix politiques », expliquait au micro Daniel Zaïdani, président du Conseil général qui a initié cette démarche, et qui le prouve : « sur Facebook, une jeune fille trouvait étonnant qu’on ait donné à l’amphidrome le nom de sa rue… elle n’avait manifestement jamais entendu parler de Georges Nahouda ! ».
Une conférence-débat, une exposition, une pièce de théâtre, un Maoulida ya shengué jusqu’à l’aube… rarement l’Histoire aura été à ce point honorée sur l’île.
Il faut dire que cette Histoire avec un grand H, on nous répète que ce sont les chatouilleuses qui l’ont menée… pas très sérieux donc à première vue ! Les écrits, désormais figés dans une brochure tirée à 10 000 exemplaires, prouvent le contraire.
Un territoire déshérité
C’est l’ancien sénateur, Soibahadine Ibrahim qui la retrace et parle de la modestie de ce territoire des Comores, « en retard même », qui ajouté aux dissensions inter-îles, créera un terrain fertile aux idées de rattachement des Mahorais à la France.
Le transfert de la capitale de Dzaoudzi à Moroni (Grande Comore) déstabilise la société : l’exode des fonctionnaires polygames mahorais incite les femmes restées seules à « transgresser certains usages pour rompre avec leur statut de mère au foyer, d’épouses fidèles ». D’autre part, les boutiques se vident de leurs denrées, « on ne trouvait plus de sucre, de sel, de savon ».
Les femmes demandent alors à parler au président du Conseil de Gouvernement des Comores, Saïd Mohamed Cheïkh qui se déplace à Mayotte pour s’entretenir avec Zéna M’déré. Mais l’échange tourne court, « des propos cavaliers ayant été tenus par le dignitaire comorien » et Zéna M’déré lui reprochant de dépouiller l’île : « le peuple de Mayotte ressemble à un troupeau de chèvres abandonnées ».
Un combat gagné par des acteurs désintéressés
La situation dégénère avec l’arrivée d’une foule en colère, Saïd Mohamed Cheikh s’enfuit, jurant de ne plus jamais mettre les pieds à Mayotte. Le Mouvement des femmes bascule en organisation politique militante.
Ainsi, chaque ministre ou membre du gouvernement en déplacement subira la même torture, la chatouille : « les femmes commençaient à l’entourer en se plaignant en paroles, puis les doigts et les mains s’enhardissaient, allaient vers les côtes. Très vite l’homme se tordait en essayant de se protéger comme il pouvait ».
Un combat abouti en 2011 par la départementalisation de Mayotte, « 53 ans après », mais bien peu de femmes sont au pouvoir pourtant. Zéna M’déré en avait donné son interprétation : « nous nous sommes battues pour nos enfants, et ce sont eux qui sont au pouvoir maintenant ».
Parmi eux, le docteur Martial Henry, qui témoignait de son engagement dans l’accompagnement de la volonté de la population à devenir française : « je ne l’ai jamais fait pour m’enrichir personnellement et j’avais compris ce que signifiait être français : adhérer à une culture qui mangeait du porc et qui était majoritairement catholique ».
La politique, un milieu masculin
Lors de la conférence-débat, d’autres femmes témoignaient : « Nous n’osions pas nous présenter à des élections, prendre la parole en public. Et même, beaucoup d’entre nous ne font pas confiance à d’autres femmes »… des interventions qui interpellent à la veille des élections départementales qui vont voir 13 conseillères générales tenir la dragée haute à leurs alter égo masculins !
Car si, comme le faisait remarquer le professeur d’histoire Abdoul-Hafar Magoma Antoissi ces chatouilleuses étaient clairvoyantes, « et délaissant leurs plaisirs personnels contrairement aux hommes », un intervenant faisait remarquer que les femmes mahoraises n’étaient pas préparées à cette entrée brutale dans un milieu politique masculin, « comment vont-elles encaisser les attaques personnelles ? Elles ne vont pas se retrouver autour d’un verre comme les hommes ! Un temps d’apprentissage sera nécessaire », conclut-il.
Un grand pan de l’histoire Mahoraise vient d’être explorée. Le sera-t-elle jusque dans les classes pour que les jeunes puissent se doter d’une identité ? « Oui, quand on aura aussi écrit l’histoire vue par les opposants à la départementalisation », lançait un participant.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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