«Nous vivons dans un pays de soleil, mais barricadés dans nos maisons. L’insécurité a fini par conditionner nos modes de vie», remarque Bacar Ali Boto, 1er adjoint au maire de Mamoudzou. C’est pour chercher une solution collective que l’avocat Elad Chakrina vient d’initier le Conseil de quartier pour la sécurité de Mayotte sur l’ensemble de l’île.
La société civile se saisit de plus en plus du problème de l’insécurité. Pour Elad Chakrina, la prise de conscience de l’urgence d’une réaction date de ce 15 mai 2015, lors de l’attaque violente du Cabinet Mahorais de conseil. Elle a incité l’avocat du barreau de Mayotte à impulser la création d’un Conseil de quartier pour la sécurité de Mayotte. Le COSEM a la particularité d’être une association collégiale qui n’a ni président, ni trésorier, ni secrétaire : « une gouvernance collégiale au sein d’un conseil d’administration », explique-t-il.
C’est un nourrisson encore puisque le COSEM est agréé depuis ce 29 mai 2015. Plusieurs personnalités entourent Elad Chakrina face aux journalistes : Michel Taillefer, « pour son conseil et son accompagnement en matière de sécurité », Hamada Salim qui connaît bien ce phénomène de bandes, El Mamouni Mohamed Nassur, porte-parole du Grand Cadi qui avait réglé le différent entre les jeunes de Kawéni et Majicavo, et Bacar Ali Boto, 1er adjoint au maire, « présent à titre personnel », au sens que personne ne souhaite politiser cette association.
Lister les raisons de la délinquance
L’objectif est de sécuriser les habitants avant qu’ils n’en viennent à se faire justice eux-mêmes, et de prendre en charge ces mineurs isolés, « 6.000 à Mayotte, avec plus ou moins de structure familiale, mais livrés à eux-mêmes. » L’originalité de la démarche est cette unité dans les actions menées, un cercle qui doit bien finir par devenir vertueux.
Les problématiques sont énoncées en rafale par Hamada Salim : « Savoir d’abord combien il y a de délinquants, pourquoi ils agissent, les raisons de la pérennité de cette délinquance, les signes avant-coureurs, les armes utilisées. Ensuite, envisager la riposte : elle doit venir des parents ? De la police et la gendarmerie ? Des politiques ? Puis évaluer les conséquences : le manque de prof, de médecin, Mayotte sera-t-elle bientôt habitée que par des « profiteurs de guerre » ?
Et enfin, les solutions : repenser le modèle social, redynamiser l’économie mahoraise, rompre avec l’assistanat, infléchir l’immigration clandestine, proposer une surveillance durable et renforcer l’arsenal juridique. »
Sur ce dernier point El Mamouni intervenait : « il faut parvenir à endiguer la récidive. Nous menons un travail aussi avec le président du TGI et le procureur. »
Des habitants vigilants
Un travail de Titan pour lequel les forces vives de l’association sont insuffisantes pour l’instant : « nous allons recruter un directeur qui devra trouver des « encadreurs » pour les 10 zones de Mamoudzou pour commencer, de Tsoundzou à Kawéni. Ils seront chacun accompagné d’un professionnel de sécurité privée, sur le concept des voisins vigilants », explique Elad Chakrina.
Un système qui fonctionne déjà à Bouéni, « les habitants patrouillent de 22 heures à 4 heures du matin à tour de rôle, avec un rôle dissuasif et préventif qui ne se discute même plus », nous explique Saïd Anli, président de l’Union de la Confédération Syndicale des familles mahoraises de Bouéni.
De son côté la mairie assure sa partie annonce Bacar Ali Boto : un couvre-feu tout d’abord pour les moins de 15 ans est demandé par le COSEM, « nous avons rédigé un arrêté mais des précisions sont à voir avec la Police municipale, dont les effectifs seront renforcés » et l’éclairage public « qui sera mis en place de Jumbo score à Tsoundzou ». Les marchands ambulants ont été chassés rappelle-t-il, évoquant les cases en tôles aux abords du marché, et non les vendeurs aux brouettes avec CD, sous-vêtements ou oignons, toujours sur place.
Récupérer les invendus
En matière de social et de prise en charge de ces enfants, avant une possible réinsertion, plusieurs pistes sont envisagées, mais avant tout, un travail avec les associations comme le Village d’Eva, Tama ou les structures comme l’Agepac, déjà contactée, et le BSMA. « Nous avons envisagé de récupérer les invendus des la grande distribution ainsi que les vêtements. »
Ce qui suppose de réduire les entrées sur le territoire, « sans quoi nous vidons une piscine olympique à la cuillère », glisse Bacar Ali Boto. Une coopération judiciaire avec les îles voisines est avancée pour que les jeunes délinquants purgent leur peine dans leur île d’origine. Elle avait déjà été tentée l’année dernière par un déplacement de la présidente du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou et du procureur à Grande Comore, sans grand résultat. Une coopération avec Anjouan, île originaire de la plupart des migrants, serait sans doute plus judicieuse.
Des Jardins de l’insertion, terrains agricoles où ces jeunes seraient occupés aux travaux des champs, ou bâtiments de l’insertion, sur le même thème avec pourquoi pas l’édification de leur propre MJC qu’ils devront entretenir par la suite, autant de bonnes suggestions qui vont nécessiter de nombreux acteurs à la motivation sans faille, « toute la population peut s’inscrire au COSEM », lancent d’ailleurs les acteurs !
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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