Etudiant à la Sorbonne, Saïf Youssouf Ahamada travaille sur sa thèse. Il a choisi de se pencher sur la façon dont la presse relate les naufrages des kwassas entre Anjouan et Mayotte. Un sujet qui le touche et pour lequel il voudrait des solutions.
Un étudiant comorien à Mayotte. A 28 ans, Saïf Youssouf Ahamada a déjà un beau parcours derrière lui. Le bac et une licence de lettre moderne en poche, le voici parti pour la Sorbonne. Sa mention lui permettait en effet de bénéficier de la convention qui lie la prestigieuse université parisienne à l’Union des Comores. En science de l’information et de la communication, il avance brillamment du Master vers la thèse, un travail qui l’amène à Mayotte.
Car Saïf a choisi de travailler sur une question sensible à l’échelle de l’archipel : le traitement par la presse des drames de la mer entre Anjouan et Mayotte. «J’ai d’abord choisi ce sujet pour des raisons sociales. Quand vous avez un pays qui compte 700.000 habitants et qu’on parle de 10.000 morts entre 1994 et 2012, l’ampleur du phénomène est tel qu’il me semblait évident de travailler sur cette question pour internationaliser le sujet et faire réagir les autorités. Imaginez, transposé à la France, ce serait comme il y avait eu un million de morts !»
Le jeune homme voit aussi les villages comoriens se dépeupler, avec des jeunes qui disparaissent parfois littéralement, particulièrement à Anjouan. «Rien que dans ma petite ville de Grande Comore, sur mille habitants, ils sont une quinzaine à être partis et à avoir risqué leur vie», confie-t-il.
Le poids de chaque mot
La 2e raison du choix du sujet est professionnelle. Saïf a la passion du journalisme, un métier qu’il a déjà eu l’occasion d’exercer pendant ses études, en présentant le journal de l’ORTC, la radiotélévision publique des Comores. «Pendant deux ans, j’étais chargé de traiter ces sujets-là et j’ai assisté à l’hécatombe». Saïf parle de 150 morts en 2011 et encore de 120 en 2012. Depuis, les chiffres ne sont pas encore facilement accessibles.
L’idée de son travail est de confronter le traitement de cette actualité par la presse comorienne et française (à Mayotte comme en métropole), d’interroger des intellectuels par-delà les frontières érigées par l’histoire mais aussi des écrivains. «La mise en fiction est très intéressante. Les auteurs qui parlent des naufrages peuvent dire beaucoup de choses qui sont plus difficiles à exposer dans la réalité», explique-t-il.
Et pour ce sujet chaque mot doit être soupesé : «génocide», «département», «île comorienne de Mayotte» et même «visa Balladur». «Pourquoi parle-t-on de visa Balladur ?» se demande le jeune homme. «C’est le visa pour entrer en France, le même pour aller en Martinique ou ailleurs. Les journalistes prennent des positions politiques à tout moment en utilisant ces mots.»
Entre banalisation et indifférence
«Mon maître de thèse m’a mis en garde. Il y a une expression comorienne qui dit ‘Ne pas réveiller le diable’. Mais tout le monde est d’accord pour dire que c’est une tragédie, le préfet de Mayotte comme le ministre de la défense comorien. Pourtant rien ne change! Il faut une réaction.» Il se penche donc sur la façon dont la presse relate le départ des kwassas à Anjouan et leur arrivée à Mayotte, comment ces migrants sont nommés («clandestins»). Entre banalisation ou indifférence, il se désole aussi de cette presse métropolitaine qui réagit encore à la notion de «morts-kilomètres»: les drames et le nombre de victime doivent être importants pour faire les gros titres.
Saïf Youssouf Ahamada est encore à Mayotte quelques jours pour écouter, recueillir des informations et partager une expérience qu’il projette dans l’avenir. Entre professeur d’université et journaliste, ses choix ne sont pas encore arrêtés. Il veut probablement les deux. Il souhaite surtout que son travail fasse bouger la réalité et ainsi éviter qu’en quelques lignes, le JDM et les autres médias relatent de nouveaux drames épouvantables.
RR
Le Journal de Mayotte
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