Mayotte souffre d’un paradoxe de plus: le potentiel de débouchés en emploi qu’offre l’apprentissage y est freiné par l’absence d’incitations fiscales, qui s’appliquent pourtant sur les autres territoires. Ce qui n’empêche pas les entreprises d’y trouver des perspectives.
L’apprentissage reste méconnu, «et souffre d’une image dégradé auprès des familles, des jeunes, mais aussi des entreprises qui les hébergent», déclare Alain Berna, Proviseur du lycée polyvalent de Kawéni, devant un parterre de représentants économiques. Comme l’année dernière, il avait convié ces partenaires sans qui l’apprentissage ne serait rien, puisque c’est la quarantaine d’entreprises présentes au nouveau plateau technique du lycée qui signe et finance les contrats des jeunes inscrits en Unité de Formation d’Apprentis (UFA) de son lycée.
Il faut dire que tout n’est pas toujours facile au royaume de l’apprentissage, en témoigne le représentant d’une entreprise locale qui déplorait que le jeune qu’il venait de prendre ait embouti un de ses camions, « il n’avait pas le permis ». Le jeune a été sanctionné, mais a eu droit à une deuxième chance. D’un autre côté, il y a un profil type de l’entreprise qui va savoir former ses jeunes apprentis.
Pour certains d’entre eux, prendre un apprenti, c’est « faire du social ». Pas sûr que la transmission du savoir se fasse correctement dans ce cas. Preuve de leur motivation, les chefs d’entreprise avaient massivement répondu présent ce jeudi matin au lycée.
Plus de 7 jeunes sur dix décrochent un emploi
Et de l’apprentissage, c’est Marie-Laure Thoret, adjointe du directeur de la Maison des Livres qui en parle le mieux, en tant qu’entreprise « historique » de recours aux apprentis à Mayotte : « cela fait 20 ans que nous prenons des jeunes en apprentissage. Treize sont actuellement en poste chez nous, répartis sur nos quatre sites. Dix de nos salariés sont d’ailleurs d’anciens apprentis de Kawéni, dont une revient d’un bac pro de commerce en métropole. »
Le chiffre national de l’insertion de ces jeunes est éloquent : 70% des jeunes apprentis trouvent un emploi, approximativement le même score à Mayotte. Ce qui signifie que sur une île où 55% des jeunes de 15-29 ans sont au chômage, ce type de formation à un métier permettrait à 7 jeunes sur 10 de trouver un métier. « C’est une voie de réussite », se plait à répéter Alain Berna qui évoque les 250 contrats signés à Mayotte l’année dernière sur les 4 UFA.
Un choix accompagné par le professeur de collège
Ils seront bientôt fédérés comme partout en France au sein d’un CFA, un centre de formation d’apprentis qui fixe les modalités d’organisation administrative, pédagogique et financière. Il faut encore que le conseil départemental, présent pour la première fois à Kawéni ce jeudi en tant que financeur de la formation, en signe la convention avec les chambres consulaires. Il devrait ouvrir le 1er janvier 2016 à Dzoumogné.
Pour améliorer encore cet apprentissage des jeunes en hôtellerie, en gestion administrative, en accueil, en santé ou en professions de la petite enfance, l’UFA de Kawéni développe une stratégie autour de 6 axes : la prospection des employeurs, « beaucoup d’entreprises ne savent pas encore ce qu’est une formation en alternance, la formation des maîtres d’apprentissage, un plan de communication, la recherche de solutions alternatives à l’apprentissage sur d’autres lieux, la sensibilisation des professeurs principaux des classes de 6ème , « l’apprentissage doit être un véritable choix et non par défaut d’élèves refusés dans les filières générales ou les filières professionnelles », et un tableau de bord de suivi de l’apprentissage.
Proximité avec l’entreprise
Ce dernier point invite à maintenir un lien étroit avec les entreprises, «vous faites parfois remonter des problèmes d’absentéisme pour lesquels nous avons mis en place un logiciel qui nous a permis de faire chuter les absences de 40% par rapport à l’année dernière », indique le chef d’établissement. Un livret d’accueil de l’apprentissage est également distribué.
L’année dernière, ce sont 250 contrats d’apprentissage qui ont été signés à Mayotte, « mais nous allons accroitre peu à peu notre capacité d’accueil vers 220 à 230 places dans 3 ans. » Avec une seule condition, que les entreprises continuent à y croire. Pour les y aider, et selon la volonté du gouvernement de développer ce type de formation, des incitations fiscales ont été votées, « mais ne s’appliquent pas à Mayotte, faute de transposition intégrale du code du travail. » Ce qui devrait être réparé en 2018.
Une des plus belles réussites, et à plus d’un titre quand on la voit au micro, prend les traits d’Halima, qui après deux ans d’apprentissage au lycée de Kawéni, a franchi la barrière puisqu’elle est là ce matin en tant que chef d’entreprise du restaurant italien « Mama Mia !* »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Route Hamaha Plage à Mamoudzou-0639 61 70 55
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