CARNETS DE JUSTICE. Il n’était pas présent à l’ouverture de l’audience. Saïd M. est incarcéré actuellement à la maison d’arrêt de Majicavo. Pourtant, lorsque un prisonnier est convoqué devant la justice pour une affaire, les gendarmes font habituellement en sorte de présenter le prévenu dès 8 heures. Mais ce mercredi matin, le prisonnier est absent. A Majicavo, on n’arrive pas à l’identifier. Le nom et la date de naissance portés sur la convocation ne correspondent à aucun détenu.
Il a pourtant fini par arriver et l’explication du retard s’impose rapidement.
– Quelle est votre date de naissance? demande le président.
– J’ai 21 ans, répond Saïd.
– Sur mon dossier, il est écrit que vous êtes né le 1er janvier 1995. Ca veut dire que vous avez 19 ans ?
– Je ne connais pas ma date de naissance.
Même confusion du côté de son nom. Il en avait donné un à la Police de l’air et des frontières (PAF) lors de sa première arrestation, puis un différent à la gendarmerie au moment de la seconde.
– Vous en avez bientôt un troisième ? ironise le Président.
Les problèmes d’état civil aux Comores posent décidément beaucoup de problèmes à la justice française.
Saïd est à la barre pour avoir piloté un kwassa-kwassa en provenance d’Anjouan le 26 septembre 2013, avec 15 personnes à bord : quatre hommes, six femmes et cinq enfants. L’arraisonnement a eu lieu à 3h30.
L’homme a reconnu les faits, tout comme l’absence de GPS, de gilets de sauvetage ou de tout équipement de sécurité. L’embarcation étant équipée d’un moteur de très faible puissance, à peine 15 CV, au moindre mouvement de mer, le danger est pourtant évident. «Il a transporté des femmes et des enfants qui se retrouvent au fond de l’eau s’il y a un accident», relève la procureure.
Pour le voyage, les passagers avaient déboursé 150 euros chacun. Saïd, lui, touchait 300 euros par traversée.
– Combien de voyages a-t-il fait ? interroge le président. Le traducteur officie.
– Deux voyages, répond Saïd.
– Deux voyages en quatre ans, et deux fois, il se fait prendre par les gendarmes. C’est pas de chance !
Saïd purge actuellement une peine d’un an d’emprisonnement pour avoir déjà convoyer des migrants clandestins à bord d’un kwassa en 2010. Mais il a appris cette condamnation lors de sa deuxième interpellation. Le fichier national des empreintes digitales a trahi son identité et donc l’existence d’un mandat d’arrêt contre lui. Entre temps, Saïd était reparti à Anjouan.
Il n’a pas d’avocat pour se défendre mais il demande au tribunal de ne pas être sévère. Il a des difficultés à joindre les deux bouts, son père est décédé, la vie est dure. Des arguments que le tribunal va entendre. Il est condamné à 8 mois de prison avec sursis. «Cela signifie, explique le président, qu’à la fin de la peine que vous purgez à Majicavo, si vous recommencez, vous devrez faire ces huit mois de prison en plus d’une autre peine.»
Saïd a compris mais la vie est dure. Saura-t-il résister à cet argent à portée de main ? Le tribunal en a fait le pari.
RR
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