D’abord, les élus avaient anticipé. Avec le flot de barrages érigés aux quatre coins de l’île, les sudistes et les centristes avaient dormi la veille à l’hôtel Maharadja. Le président lui, avait franchi les encombrements dès proton minet, « vous devriez aller voir nos grévistes, ce sont nos électeurs. Ils m’ont d’ailleurs accueilli d’un ‘président, président !’, et nous avons dansé. Mais le soir, attention, ils se transforment, l’alcool coule à flot », disait Soibahadine Ibrahim Ramadani, en souriant… Une réaction en décalage avec la pression que ressent une partie de la population, les étudiants ou les infirmiers qui ne peuvent passer les barrages.
L’ancien président Daniel Zaïdani jouait d’ailleurs cette partition, beaucoup moins radicale que celle qu’il avait tenue en 2011, « laissons passer les jeunes étudiants. L’île est coupée en deux, ceux qui peuvent passer et qui seront payés à la fin du mois, et les autres. » En écho, c’est un conseiller de la majorité, qui présentera plus tard le budget, Ben Issa Ousseni, qui souligne la souffrance du secteur privé, « je partage les revendications, mais pas la manière. Si nous continuons comme ça, seul les fonctionnaires se porteront bien à Mayotte ! »
Une situation figée
Soibahadine Ramadani précisait que son soutien au mouvement n’a d’autre but que « de défendre notre attractivité, qui implique une sécurité assurée, des conditions sanitaires acceptables, un système éducatif performant et un assainissement aux normes. »
On connaît le montant exact du déficit du département en 2015 : il est passé de 49 millions d’euros à 20 millions d’euros, « notre travail paie », assène Soibahadine Ibrahim à Daniel Zaïdani, pour clore toute contestation de bilan entre ancien et nouveau président, et puisque les séances plénières sont rythmées par leur rapport de force.
Si les charges ont été compressées et des recettes supplémentaires, d’impôts et taxes, engrangées, rien n’est gagné. Et essentiellement par la faute du passage à la fiscalité de droit commun, qui a verrouillé le dynamisme des recettes, alors que les dépenses restent quasiment incompressibles. En clair, tout est figé, et la capacité de dégager une épargne, donc un autofinancement, ayant été nulle dès 2014, la situation perdure en 2015.
Aides à Kwezi et aux syndicalistes
D’autre part, les recours à l’emprunt des années 2008 à 2010 ont plombé les marges de fonctionnement, « mais nous sommes en phase de désendettement », explique le chargé des finances de la collectivité.
Cette rigidité des recettes tient dans le plafonnement de l’octroi de mer à 36 millions d’euros, là où il abondait auparavant les caisses du département en proportion de l’accroissement, constante, des importations. Mais également dans des dotations stables de l’Etat, qui avait pris une année de référence qui l’arrangeait, 2012 au lieu de 2013, économisant ainsi 16 millions d’euros sur le dos de Mayotte, comme le souligne la Cour des Comptes.
Le conseil départemental doit donc faire des économies, ce que conteste Daniel Zaïdani, « à force, vous n’aidez plus les associations sportives ou la population ». Un peu du débat national entre partisan de l’austérité et de ses pourfendeurs, qui s’exporte. Il faut croire que des aides affluent malgré tout, puisque le président Soibahadine annonçait une aide au groupe cambriolé Kwezi FM, on apprendra qu’elle est de 100.000 euros, et au déplacement des syndicalistes attendus pour une rencontre interministérielle.
Nul doute que les entreprises sinistrées par le mouvement social ou des cambriolages à répétition sauront se faire entendre.
Une rencontre primordiale le 26 avril
Les dépenses de fonctionnement sont gangrénées par l’indexation des salaires, avec une masse salariale en hausse de 20 millions d’euros entre 2013 et 2015, l’accroissement des charges à caractère général en formation professionnelle, ou les transports scolaires, « dont le coût a augmenté de 5 millions d’euros par l’allotissement du marché imposé par le tribunal administratif, pour un service de moindre niveau », critiquait Daniel Zaïdani.
Des économies, c’est la condition posée par le gouvernement en préalable à toute négociation sur la dotation globale de fonctionnement, due par l’Etat, les compensations de versement du RSA, l’octroi de mer, la collecte de l’impôt… autant de points qui pénalisent Mayotte et qui vont faire l’objet d’une négociation le 26 avril du président Soibahadine et du 4ème vice président Issa Issa Abdou, auprès de Manuel Valls.
Le budget primitif était ensuite voté à l’unanimité, de 350 millions d’euros, dont 280 millions d’euros en fonctionnement et 69,5 millions d’euros en investissement, il est de 24 millions d’euros plus élevé que l’année dernière.
« Malgré tous les efforts de redressement entrepris, il y a des rigidités qui n’ont pas pu être réglées en un an », explique l’exécutif. Une bonne base de travail dans deux semaines avec le premier ministre.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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