La salle de la Bibliothèque de prêt (BDP) de Cavani est plongée dans une semi obscurité, et dans un total silence. Les jeunes placés sous protection judiciaire de la PJJ, ceux de la Maison des adolescents de Tama et de l’ITEP, de l’association Céméa, ou de la Bibliothèque de Prêt, visionnent le film qu’ils ont primé, après avoir participé à une matinée d’ateliers sur la thématique du cinéma.
Auparavant, pendant plusieurs mois, les jeunes de la France entière, métropole comme DOM, accompagnés par leurs éducateurs et des professionnels du cinéma, ont vu une sélection de 13 films et en ont débattu. Chaque jeune a ensuite voté pour le film qu’il a préféré. Ces votes ont alors donné lieu à l’attribution du prix “Des cinés, la vie !”, remis au réalisateur du film choisi, au cours d’une journée à la Cinémathèque française.
La banlieue devient un décor de rêve
« Contrairement à l’année dernière où quelques jeunes avaient pu s’y rendre, cette année, ils sont restés à Mayotte, et nous avons décidé d’organiser une finale sur place », explique Marie-Noëlle Bessier, Chargée d’animation à la BDP. Et chez nous comme en métropole, c’est le même moyen métrage qui sort du lot : « Guy Moquet » de Demis Herenger. Rien n’à voir avec l’histoire de ce résistant communiste entré dans l’histoire, quoique…
Guim’s, le surnom du jeune Guy Moquet, est un adolescent d’une cité de banlieue. Le décor est planté, on s’attend à du parler cru, du verlan, on est servi. On nous sert même du « Hey, négrot ! », autorisé parce que l’autre est aussi noir que lui, « sinon, tu pouvais déposer plainte pour racisme. » Ce n’est plus du cliché, on partage leur quotidien. Mais l’intrigue fait mouche : rendre possible une histoire d’amour qu’on rêve différente, que ce jeune aimerait plus proche des décors d’Out of Africa que des tags de la cité. Et c’est ce qu’il va réussir à faire.
L’image peut mentir
C’est le tour de force du jeune Guy Moquet, faire du film qu’il se tourne dans sa tête, une réalité, en dépit des moqueries de ses potes, et des menaces. Ça passe par des coups ratés, avec l’émouvante scène du feu d’artifice, et des questionnements techniques avec sa bande : « quand on embrasse, faut mettre la langue ou pas ? » Long débat, les baisers de cinéma refont leur apparition, les ado dans la salle sont hilares.
L’enjeu de ce mois de visionnage et de débats, était de provoquer l’argumentation, le respect des justifications de l’autre, la sensibilisation à l’approche critique d’un art : « Nous leur apprenons à analyser l’image et à comprendre qu’elle peut mentir. Que tout ce qui est sur la pellicule n’est pas vérité », poursuit Marie-Noëlle Bessier.
Les techniques pour y croire
Pour mettre en pratique, plusieurs ateliers leur étaient proposés au long de la matinée : du « stop motion », « une technique donnant l’impression de voir des objets animés, mais qui sont scénarisés image par image. Il sont été étonnés de voir que 300 images donnaient 20 secondes de film».
Mais aussi un atelier « effets spéciaux », une exposition pour expliquer les différents genres que sont les policiers, les comiques, la science-fiction ou le burlesque, et enfin, la naissance du cinéma. « Là, ils ont compris que nous ne pourrions visionner des films si nous n’avions pas un défaut, ‘la persistance rétinienne’ », la capacité de l’œil et du cerveau à superposer une image déjà vue aux images que l’on est en train de voir.
Nous ne vous dévoilerons pas la scène finale de « Guy Moquet », mais juste prévenir les grands romantiques qu’elle est pour eux.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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