Trois médecins étaient assis sur le banc des accusés ce mercredi matin dans la salle d’audience du tribunal de grande instance. Ils étaient appelés pour homicide involontaire dans une affaire qui pourrait passer pour une erreur médicale, si elle ne s’était pas reproduite…
Jugés en correctionnelle pour «maladresse, imprudences, négligences ayant causés la mort d’une patiente, N.W. le 4 août 2011. Dès le lendemain, son compagnon R.U. avait déposé plainte et la recherche des causes de la mort débouchait sur l’ouverture d’une information judiciaire pour homicide involontaire.
La patiente n’aurait en effet pas bénéficié de la prise en charge correspondant à sa maladie. Le 22 juillet 2011, un examen médical décèle chez elle un cancer du foie et du pancréas aggravé par des métastases. Mais il indique aussi que N.W. souffre d’une thrombose, infection qui peut dégénérer en embolie pulmonaire si elle n’est pas traitée. Le 3 août, elle va subir une biopsie et décède le lendemain. C’est ce qui incite R.U. à déposer plainte.
Ce que l’information judiciaire va découvrir, c’est que la patiente n’aura jamais été soignée pour sa thrombose, pourtant cause du décès d’après l’autopsie. Ni par son médecin généraliste, ni par les deux médecins hospitaliers qui auront eu accès à son diagnostic. Exerçant à l’hôpital de jour en service cancérologie, le premier précise, «je ne suis pas cancérologue, juste généraliste», et le second est alors en remplacement dans le même service.
«Mais pourquoi n’avez vous, aucun des trois, appliqué le traitement anticoagulant qui s’impose pour toute thrombose ?» s’enquiert le président d’audience Jean-Pierre Rieux. Car l’expertise médicale est sévère : «L’embolie peut générer une migration du caillot de sang dans l’artère, c’est d’ailleurs un mode de révélation du cancer. L’absence de traitement par anticoagulant est une négligence de l’ensemble de la chaîne médicale. Les soins n’ont pas été conformes à la pratique médicale».
Manque de spécialistes
L’un des deux médecins hospitalier mis en cause le confirme : «un tel traitement aurait pu éviter le décès, voire le différer… je n’ai pas ‘tilté’». Alors que le second médecin dit ne pas avoir vérifié si les anticoagulants étaient délivrés, «pour moi c’était implicite». Le généraliste reconnaît que l’erreur médicale vient du fait que tous se sont focalisés sur la pathologie cancéreuse, mais de nuancer. «Il ne faut pas rajouter des jours à la vie mais de la vie aux jours». Il n’en fallait pas plus pour que Me Chauvin, avocat de la partie civile, ne demande une condamnation.
Pour les trois médecins, le traitement était de toute manière incompatible avec la biopsie. Mais Jean-Pierre Rieux les reprenait en soulignant que plus de dix jours s’étaient écoulés entre le diagnostic de l’embolie et l’acte de biopsie, «or vous dites vous-mêmes que l’anticoagulant est efficace au bout de 48h…»
De plus, le médecin exerçant dans le service de jour en cancérologie indiquait avoir appris au cours de l’instruction, que le cancer du pancréas était un terrain favorable à la thrombose. «Un spécialiste en cancérologie l’aurait-il su ?» s’enquiert un des assesseurs. On ne connaitra pas la réponse, pas à l’audience en tout cas.
« Tuée par négligence »
Pour Me Chauvin, aucun doute, le traitement anticoagulant aurait permis à la patiente de voir ses enfants qui arrivaient à l’aéroport pendant qu’elle succombait à la maladie.
Le procureur Garrigue n’a eu qu’à citer l’expertise pour souligner qu’on était bien dans le cadre d’un homicide involontaire, «elle a été tuée par négligence» et que les médecins s’étaient retrouvés dans la position du pilote d’avion dont les commandes ne marchent plus alors que le moteur s’arrête : «ils n’ont vu que le cancer».
Pour les avocats de médecins, il n’y a pas de faute caractérisée, «ils n’ont pas causé directement la mort de N.W. Cette affaire n’a pas à être jugée en correctionnelle».
Les trois médecins ne sont plus sur Mayotte. Mais des faits récents similaires, prouvent que rien n’est réglé. Une patiente s’est en effet présentée il y a quelques semaines au Centre Hospitalier de Mayotte, se sentant faible et ressentant des douleurs au bras. Après une journée d’auscultation, scanners et prise de sang, les médecins n’ont rien diagnostiqué et lui ont demandé de rentrer chez elle. Ce qu’elle fit, à pied… Toujours très fatiguée, elle s’assoupit pour être réveillée peu après par les pompiers : ils venaient la chercher pour la transporter en urgence, un médecin ayant finalement décelé une embolie pulmonaire. Des anticoagulants lui ont été immédiatement administrés.
Autre temps, même lieu… « L’erreur est humaine » soulignait malgré tout un avocat…
Le délibéré est attendu le 19 mars.
Anne Perzo-Lafond
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