Rappelons qu’en mai et juin 2016, prés de 200 de personnes au début, moins ensuite, ont dormi pendant plusieurs semaines dehors, on aurait pu joliment dire à la belle étoile s’ils n’avaient pas subi pluies et vents, et s’il n’y avait eu des enfants en bas âge.
Pendant les semaines de recherche de solutions de la part des pouvoirs publics, la moindre proposition de relogement était accueillie plus que favorablement. Des appels sont même lancés pour une prise en charge par la population. « La préfecture a indiqué le 30 mai 2016 qu’elle ne mettrait pas de tentes place de la République par crainte d’accroitre le risque de trouble à l’ordre public », rappelle Yohann Delhomme, Directeur de la Cimade Mayotte, appelé par la défense à témoigner.
Secondé par Aurélien Roisin, Coordinateur de Médecins du Monde, « les conditions de vie étaient insupportables, les gens étaient sales, ne pouvaient se laver, nous avons du insister patienter de nombreux jours pour obtenir des sanitaires. »
C’est dans ce contexte que A.S. propose sa maison à Bouéni en juillet et août 2016, et est même contacté pour loger des femmes enceintes ou avec enfants. « La maison était vide, et comme je travaille en Petite Terre, je passais tout le temps devant les personnes sur la place. Elles avaient besoin d’aide », explique-t-il à la barre.
« Comme s’il était trafiquant de drogue »
L’une est enceinte et le supplie, elle rapporte ses propos au tribunal : « Je l’ai supplié, car l’hôpital m’avait dit que j’accoucherai le 25 juillet, j’ai demandé à rester 20 jours, et je serai parti après. »
Mais entretemps une source anonyme informe le 11 août 2016 la gendarmerie que A.S. héberge des personnes en situation irrégulière, ce qui est interdit par la loi. Le 18 août à 6h du matin, les gendarmes viennent le chercher, fouillent sa maison, et l’emmènent menotté à la gendarmerie de Mzouazia. « J’ai demandé à téléphoner parce que mon père diabétique était alité, mais il m’ont répondu ‘c’est que dans les films qu’on a le droit de passer un appel’. Je suis resté de 7h à 14h, on m’a donné un paquet de biscuits. Quand j’ai menacé de déposer plainte, ils m’ont passé le téléphone. »
Son avocate s’interroge sur l’absence de convocation au préalable, « on a agi comme s’il s’agissait d’un trafiquant de drogue ! »
Il est accusé d’avoir logé des personnes sans s’assurer que la dignité humaine soit respectée, « dans une pièce de 22 m2 vivaient 3 personnes dont 2 mineurs, vous vous rendez-compte. Vous avez jugé que c’était ‘ni pire, ni mieux’ que leurs conditions place de la République ?! », interroge le juge Bouvart.
Une situation de paradoxe généralisée à Mayotte
Mais les témoignages recueillis à la barre font le parallèle avec les conditions de logement des réfugiés au Bengali, la population place de la République y étant évacuée le 22 juin au cours d’une audience-coup de théâtre au tribunal administratif, après une plainte de la Cimade et de Médecins du Monde contre l’Etat. « Le gîte n’avait pas été dédommagé immédiatement par la préfecture, et il n’y avait qu’une seule bouteille d’eau par famille, peu de nourriture, des sanitaires quasiment inexistants »
Une situation douloureuse que le procureur résumera par une phrase que l’on peut étendre à l’ensemble de l’île : « Nous sommes en plein paradoxe où il faut implorer d’un côté la générosité, et de l’autre, sanctionner les fraudes et l’infraction à la législation. » Il se dégage du contexte « nous ne faisons pas le procès du rassemblement des personnes place de la République », et rappelle que A.S. accueillait déjà des personnes en 2012 chez son papa, « il y a donc convergence de ces deux situations. »
Et met en évidence une non concordance de date, « à l’époque où il a accueilli des personnes, il n’y avait plus personne sur la place de la République. » Pour lui, l’infraction est bien là, « certains individus tirent profit de la misère, et le débat ne doit pas être pollué par les conditions difficiles des familles, mais se recentrer sur les conditions d’accueil. »
Elles se partageaient les frais
Me Ghaem rappelait que ne peut donner lieu à des poursuites toute aide au séjour sans contrepartie. Elle rappelait que A.S. avait accueilli ces personnes qui, lorsqu’elles se trouvaient place de la République, n’avaient pas été expulsées, « il a pensé qu’être maman d’enfant français les protégeait. » A.S. leur a fait signer un contrat d’hébergement temporaire, auquel il joint le certificat de naissance de leurs enfants.
Revenant sur une possible contrepartie, « elles se partageaient les factures d’eau et d’électricité, c’est bien la moindre des choses ». Aucun travaux, ni faveur sexuelles, en échange plaide-t-elle, en sous-entendant une procédure déficiente.
Quant aux dates, elle rappelait que lors de l’évacuation le 22 juin, les personnes transférées au gîte étaient listées, et que celles qui n’étaient pas présentes n’avaient d’autres recours que des solutions alternatives, et que A.S. en faisait partie.
Le tribunal a été replongé pour quelques heures dans l’horreur de cette situation que l’on a laissé pourrir, sur un territoire où rien n’est simple. Il en aura tenu compte en relaxant A.S.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
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