Le « coup d’achat », technique qui consiste pour les policiers à se faire passer pour un acheteur, peut vite déraper vers une organisation de trafic, c’est ce qui transpirait de l’affaire du GIR. Celle qui amenait à la barre du tribunal correctionel les policiers de la BAC (Brigade Anti-Criminalité) de nuit, sentait a priori la même odeur de souffre.
Procès verbal d’interpellation trafiqué, modification des plaques d’immatriculation d’un véhicule, destruction d’un téléphone portable… des faits graves, voire explosifs. Et le tout, sans couverture du parquet. Il s’agit en réalité de « pieds nickelés embrouilleurs », comme les jugera le procureur.
L’interpellation remonte à janvier 2015. Quelques mois auparavant, lors d’un banal contrôle routier, un taximan appelle les policiers à l’indulgence, « je peux vous rencarder sur des trafiquants de stup », explique-t-il aux policiers, tel que le rapporte Renan*. à la barre. Quelques mois plus tard, c’est parti : « Il nous appelle à 19h en nous informant qu’un individu détenait 1kg de bangué (résine de cannabis) sur lui, et pouvait nous en procurer 9kg. Trop tard pour aviser la hiérarchie, nous l’interpellons dans la foulée, à 20h50, en prétextant un banal contrôle routier. »
Une alcoolique qui shoote
Cette opération en roue libre va être fatale aux deux policiers. Une collègue qui est avec eux, et devait être jugée mais ne sera finalement entendue que comme témoin assisté, effectue une palpation du trafiquant (bien que de sexe opposé, interdit par la loi), et récupère son téléphone portable. Elle rapatrie le véhicule, mais a un accident en heurtant un muret. Ils appellent leur centre opérationnel pour obtenir une dépanneuse.
Mais pendant que l’informateur est mis à l’abri au commissariat annexe, il va falloir justifier la garde à vue du dealer. Et là, c’est de la broderie sur mesure. « Nous avons expliqué être tombés sur les stupéfiant au cours d’un banal contrôle routier », indiquant une fausse plaque d’immatriculation. Puis, pris de remords, ils avouent à leur supérieure hiérarchique la vérité. « Elle nous demande de rédiger 2 Procès Verbaux avec les deux versions », sans doute pour couvrir sa responsabilité vis à vis du parquet, hypothèse émise par le président Sabatier.
Quant à savoir pourquoi ils n’ont pas prévenu leur hiérarchie de l’opération, on apprendra vite la raison : « Elle était alcoolique, plus souvent dans les bars que sur le terrain. Et elle shootait toutes les affaires délicates ! », explique Renan.
L’affaire sort du commissariat
L’autre policier, Ali* exerce depuis 14 ans à la BAC, c’est un passionné, avec des état de service élogieux, tant sur son efficacité que sur ses liens avec ses collègues. « Mais depuis 2 ans que cette affaire est arrivée, c’est le cauchemar. Mon seul objectif était de mettre hors d’état de nuire un dealer. J’ai fait une grosse bêtise, je le reconnais. » C’est la 1ère fois que les deux policiers participent à une telle opération, « j’ai appris le terme ‘coup d’achat’ par les déplorait médias », confie-t-il.
Fait aggravant, lorsqu’ils récupèrent le téléphone des mains de leur collègue, ils vont le jeter à l’eau, prés de la barge, et balancent la puce sur un chemin, « pour être cohérents avec le mensonge du PV de départ. »
Reste à savoir pour le juge Sabatier, pourquoi cette affaire est sortie des 4 murs du Commissariat. Et nous allons de surprises en surprises : « Ce que je vais dire ne va pas plaire à tout le monde », murmure Ali en lançant un regard en coin craintif au procureur Camille Miansoni.
La police ridiculisée
« J’avais rédigé un PV sur une affaire de chimique, dans un style rédactionnel direct qui ne plaisait pas à mes collègues. Qui me demandent de le modifier. Le procureur Joël Garrigue me fait la même demande par écrit, que nous avons versée à la procédure. Mais quand je me justifie auprès de lui, le procureur reconnaît que mes collègues l’ont induit en erreur. » De retour au commissariat, où l’ambiance était alors très tendue, il rapporte que le commissaire Miziniak lui assène : « Vous venez de ridiculiser la police. » Qui contacte le procureur, qui téléphone à l’Inspection des services, qui mettra à jour cette affaire.
Le procureur Miansoni déplorait « une triste affaire », « nous nous servons des PV comme d’une base pour prendre nos décisions. Or, là, on bidouille, on trafique, avec des motifs hasardeux. » Malgré le mea culpa des prévenus, il estime qu’ils ne se remettent pas suffisamment en cause. Sans charge particulièrement virulente, excepté sur le sujet d’une responsabilité du parquet « le procureur aurait utilisé un procédé tordu pour avoir la peau d’un OPJ ?! », il évoque « une procédure condamnée », car montée « hors cadre procédural. »
« L’enquête est le cœur de votre métier, Mayotte a besoin de sa police, et sans tomber dans l’exception du style ‘mais à Mayotte, c’est comme ça !’ Il faut tendre vers une normalité. On peut tolérer une erreur, pas un faux. »
Il requiert 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour chacun, ainsi que l’interdiction d’exercer dans la police pendant 3 ans.
Une affaire dont les institutions ne sortent pas grandies.
Le délibéré sera rendu le 12 juillet.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*Prénoms modifiés
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