CARNET DE JUSTICE. Tout au long de l’audience, le Président Ballu va essayer de comprendre. Comment un homme de 42 ans, père de sept enfants dont l’aîné a 12 ans, peut-il affirmer être tombé amoureux d’une fillette de 11 ans et tenter de lui imposer un acte sexuel ? Il va poser des questions, toujours plus précises, pour tenter de cerner ce qui s’est passé dans la tête du prévenu.
L’homme habite à Acoua. Ce matin du 12 juillet 2011, lorsqu’il sort de chez lui, Nadia* est installée devant la maison de la voisine. Il s’approche et lui dit qu’il l’aime. La fillette, atteinte d’une déficience mentale légère, n’est pas du même avis et le lui dit. Mais l’homme continue ses avances. Elle lui explique qu’elle refuse de faire l’amour avec lui parce qu’elle est trop petite. Il la prend par la main, la fait entrer dans la maison, l’embrasse sur la bouche, lui touche la poitrine. La fillette veut que ça s’arrête. Elle s’accroche aux rideaux, il la traine jusque sur le lit. Il tente de lui arracher son T-shirt mais il n’ira finalement pas plus loin. «C’est quand elle a pleuré que vous avez arrêté», explique le Président. La scène a duré 20 minutes.
Lorsqu’ils ressortent de la maison, une voisine, interloquée, pose la question de savoir si tout va bien. La fillette répond qu’elle a été violée. L’affaire démarre.
“C’est raisonnable”
«Je voudrais que vous m’expliquiez ce comportement étrange et choquant à la fois», demande le Président. «Vous avez des enfants, âgés de 2 à 12 ans, et vous allez voir une fillette en lui disant que vous voulez la fiancer. Ca vous a paru raisonnable ?»
«Oui, c’est raisonnable», répond le prévenu.
Le dossier psychiatrique de l’homme est clair. Il y est indiqué qu’il relève d’une pédophilie non exclusive, avoir des relations avec des enfants est, pour lui, normalement envisageable. «Il a cédé à des pulsions sexuelles déviantes, il n’a pas pu s’empêcher de passer à l’acte. Sa dangerosité, conclut le rapport, réside dans la possibilité de récidive.»
Le Président questionne, toujours à la recherche de réponses : «Quand vous l’avez croisé, ça a été le coup de foudre ?»
-Je passais là tout le temps pour le travail. Je la vois tous les jours depuis qu’elle est toute petite.
-Quel âge avait-elle quand vous êtes tombé amoureux ?
-7 ans
-Donc, vous considérez qu’à plus de 40 ans, on peut être amoureux d’une fillette de 7 ans ? Ca vous est arrivé avec d’autres enfants, je suppose…
-Non.
Face à une telle simplicité dans le récit de l’insupportable, le tribunal va changer de ton. «Et pour vos filles, si un homme arrive et veut faire l’amour avec elles, qu’en penseriez-vous ? Vous trouveriez ça normal ?»
-Non.
Une fillette traumatisée
Nadia n’a pas été à proprement parler violée mais suffisamment violentée pour être traumatisée. Elle a fait beaucoup de cauchemars depuis l’agression. Elle a rêvé que l’homme venait l’embrasser chez sa mère. Elle a peur de sortir seule et que son agresseur lui fasse du mal.
Depuis les choses se sont améliorées mais «elle n’a pas vécu ça comme un acte d’amour. Vous comprenez ? » Le prévenu acquiesce. «Avant quel âge on n’a pas le droit ?», demande un assesseur. Le prévenu ne sait pas. «La loi dit 15 ans. Et après 15 ans, il faut que la personne soit d’accord. Et quelqu’un qui est d’accord, ce n’est pas quelqu’un qui s’accroche aux rideaux en disant non.»
L’homme est condamné à deux ans de prison dont trois mois ferme. Les 21 mois restant sont une peine de sursis qui pèse sur lui comme une épée de Damoclès, une manière de s’assurer qu’il respecte les nombreuses obligations imposées par le tribunal : se rendre aux convocations du juge d’application des peines, se plier à une obligation de soins, ne pas entrer en contact avec la victime par quelque moyen que ce soit. L’homme doit également indemniser la victime à hauteur de 2.500 euros de dommages et intérêts.
Le tribunal a été plus sévère que les réquisitions du procureur.
RR
*Le prénom a été changé
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