Travail au noir, faible taux de bancarisation, constructions non déclarées ou simple coup de main entre voisins participent de l’économie informelle.
Malgré le peu de personnes disposant d’un compte en banque, la majorité des crédits souscrits à Mayotte sont des crédits à la consommation, dont 40% sont dédiés à un projet de construction. Paradoxalement, le nombre de permis de construire est en baisse. De même, la masse monétaire en circulation sur l’île a doublé depuis 2012, passant de 500 millions d’euros à 1,2 milliards cette année explique Watwani Tavanday de l’IEDOM. Chaque année, la somme qui passe dans les mains des Mahorais monte de 15%. Ces flux financiers en liquide témoignent d’une intense activité économique, qui n’est pourtant pas répertoriée. Ainsi le PIB de Mayotte, s’il atteint 1,9 milliards d’euros, se compose à 50% des salaires des fonctionnaires (900 millions). Ce qui laisserait à penser que la fonction publique ferait tourner l’essentiel de l’économie de l’île. Ou plutôt que l’essentiel de cette économie sort des sentiers balisés.
Les causes sont multiples. Le faible taux de bancarisation est un frein à la régularisation d’entreprises non déclarées : activités de pêche, d’agriculture ou de vente par exemple. Pourtant, le compte en banque est un droit que l’IEDOM peut aider à faire valoir.
La culture locale est aussi une raison. L’esprit de solidarité, chicoa, musada etc. participent en toute bonne volonté à faire tourner la vie quotidienne sans participer à l’économie officielle.
A cela viennent s’ajouter l’économie illégale (drogues, produits phytosanitaires interdits etc.) et/ou souterraine.
Ainsi selon Alain Gueydan, directeur de la Dieccte, la production de tomates est passées en deux ans de 250 tonnes à 400 tonnes à Mayotte, dont 80% de production illégale. Il tient toutefois à distinguer deux choses : l’acte de solidarité de proximité, comme tondre la pelouse de son voisin pour l’aider, et l’acte “qui ne s’inscrit pas dans la solidarité institutionnelle”, c’est à dire qui devrait participer à la vie collective et qui ne le fait pas.
Les cotisations menacées
Ce qui a mené les débats sur les risques liés à cette économie non-déclarée.
“Par exemple, le droit à la retraite dépend du devoir de cotisation, afin de bénéficier de la solidarité nationale” rappelle Alain Gueydan. Ainsi, le travail non déclaré devient-il un frein à l’alignement sur le droit métropolitain. “L’économie informelle ne participe pas à la solidarité nationale, elle empêche l’accès, demain, aux retraites.” De même poursuit-il, “nous sommes le département de France où il y a le moins d’accidents du travail déclarés, ce qui veut dire que les premières victimes sont les employés, mais aussi les clients qui n’ont pas de garantie sur leurs produits”.
Par exemple pour tous travaux de BTP, la loi impose une garantie décennale, inexistante si les travaux ne sont pas déclarés. “Si la garantie décennale a été mise en place, c’est justement car il y avait beaucoup de problèmes dans les maisons en autoconstruction.”
Cependant, les choses avancent. Beaucoup d’entreprises se créent chaque jour à Mayotte. “Ce ne sont pas des créations ex-nihilo, explique le directeur de l’inspection du travail, mais des transformations d’entreprises informelles en entreprises formelles. Souvent par souci de pouvoir léguer ces activités à leurs enfants.”
D’autant que des dispositifs existent pour aider à la création ou à la régularisation de son entreprise. Ainsi l’ADIE, association loi 1901, accorde des prêts pour investir. Y compris à une entreprise non déclarée qui peut alors recevoir 1000€ sur la base d’un contrat de confiance. Une fois l’entreprise régularisée, le prêt peut atteindre 15 000€, ou 3000€ avec un taux à 0%.
Et l’ADIE ne prête pas qu’aux riches. 2/3 des bénéficiaires sont sans qualification, 90% sont sous le seuil de pauvreté et, chiffre intéressant, 1/3 sont des étrangers en situation régulière. “Preuve que les étrangers sont des créateurs de richesse et des acteurs de l’économie locale” analyse Emmanuel Legras, directeur de l’ADIE qui précise qu’en moyenne 77% des entreprises bénéficiant de l’accompagnement de son association survivent au delà de deux ans.
Cependant, un juste milieu doit encore être trouvé entre les normes imposées par la France et la départementalisation, et les éléments culturels qui ” ont vocation à vivre en paix” argumente un intervenant. Ainsi Lucie Héliès de la Cress explique que le chicoa, finance solidaire, ou la musada qui peut consister en une mise en commun d’outils et de chiffre d’affaire se heurtent aux règles en vigueur.
Un équilibre reste donc encore à trouver, comme dans d’autres domaines, entre les normes imposées avec la départementalisation, et des traditions locales sur lesquelles l’Etat a bien compris qu’il était plus sain de s’appuyer.
Y.D.
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