Si les femmes occupent une place particulière dans la société mahoraise, l’une d’elles sort incontestablement du lot. Ida Nel incarne dans l’imaginaire mahorais le monde des affaires, la femme qui a présidé et préside encore aux destinées de tant de secteurs économiques. Portrait, à la veille de la “journée internationale de la femme”.
«Je ne sais pas pourquoi tout le monde me connaît. Parce que je suis une femme ? Parce que je fais plein de choses ? Je ne sais pas.» Lorsqu’elle voit le jour, dans une lointaine banlieue de Johannesburg, il y a bientôt 60 ans, rien ne prédestine Ida Nel à devenir la figure mahoraise que l’on connaît.
Sa mère, d’abord secrétaire, était une femme au foyer qui avait arrêté de travailler à sa naissance. Pourtant, dans sa famille, ce sont bel et bien les femmes qui tiennent les rênes. «Mon fils m’a fait remarquer que sa grand-mère faisait marcher tout le monde à la baguette, sourit Ida Nel. Les pommes ne tombent pas loin des pommiers… Je dois tenir de ma mère !»
Celle que tout le monde appelle simplement «Madame» dans ses bureaux reconnaît exercer solidement son autorité : «Quand on est dirigeante, on dirige !» Même si elle concède que les temps ont changé et que faire preuve d’autorité doit aujourd’hui être associé à plus de nuances qu’avant.
35 ans à Mayotte
Ida Nel est arrivée à Mayotte avec son mari en 1979. Le 24 avril prochain, cela fera 35 ans. «C’était tôt le matin, je m’en souviens très bien. Depuis notre bateau, on a vu le lever du jour sur le Mont Choungui.»
Après tant d’années passées à Mayotte, les gens lui remémorent aussi des souvenirs. Comme ce «jeune homme de 40 ans» croisé à Mamoudzou, un Mahorais ami avec son fils il y a des années, qui lui a rappelé avoir vu son tout premier film sur le bateau de la famille Nel. «On avait un petit équipement et on projetait des films parfois.» Une habitude prise en Afrique du Sud où elle avait monté sa toute première affaire avec son mari, une sorte de vidéo-club avant l’heure où on pouvait louer des films.
Ida Nel ne vit plus sur un bateau depuis bien longtemps. L’escale à Mayotte, lors d’un long voyage au départ de Richard’s Bay, s’est transformée en point de chute. Et finalement Mayotte est devenue son pays, ce qui ne l’empêche pas de garder des liens très étroits avec ses proches et de téléphoner à son père tous les dimanches. «Mais si on parle rugby, je suis beaucoup plus sud-africaine que française !»
Bâtisseur
Une autre chose la différencie des Français : «J’ai toujours un état d’esprit positif. Je vais de l’avant contrairement aux Métropolitains qui ont toujours cet aspect négatif, ‘on ne peut pas’, ‘ça va prendre trois ans pour ça’, ‘la règle c’est ça…’ En Afrique-du-Sud, on est développeur, on est des pionniers.»
Et des choses, Ida Nel en a développées à Mayotte. D’abord avec son mari, puis seule lorsque celui-ci est décédé à l’âge de 40 ans. Elle a été «bâtisseur, seule». Ses fiertés sont nombreuses, comme la Zone Nel. «J’ai souffert pour la faire. Les gens ne comprenait pas que j’achète le terrain 10 francs et qu’après avoir fait beaucoup de choses, je le revende 240 francs. En Afrique du Sud, on n’a pas peur de dire qu’on gagne de l’argent. L’administration non plus n’a pas compris ce que je voulais faire. Et pourtant, l’histoire m’a donné raison. Combien d’entreprises sont installées là et paient des impôts aujourd’hui ? Il y a plus de mille personnes qui travaillent dans cette zone.»
Les mabawas, souvent considérés à tort comme une lointaine tradition mahoraise, ont été importés à partir de 1985 par les sociétés d’Ida Nel. Comme les pommes, volontairement de petites tailles : ainsi, avec 7 ou 8 pommes par kilo, chaque membre de la famille mahoraise avait la sienne. Et dix ans après s’être retirée du marché de la distribution, la SNIE (Société Nel Import Export) porte encore son nom : «C’est une marque aujourd’hui mais, à l’époque, on n’avait pas du tout pensé à ça.»
L’idée de laisser une trace lui est d’ailleurs étrangère, affirme-t-elle. La volonté de faire de l’argent aussi, même si c’est plus facile à dire lorsqu’on en a beaucoup. «Je ne dis jamais : ‘je vais faire ça pour avoir plus de fortune’. C’est juste la stimulation de la création qui m’importe.»
S’arrêter, un événement
Cette semaine, Ida Nel a été obligée de s’arrêter, une légère blessure à la jambe l’a contrainte de rester tranquillement, plusieurs jours, chez elle. Un événement pas si courant. Elle en a profité pour regarder assidûment la télévision sud-africaine qui retransmettait le procès d’Oscar Pistorius, le sportif accusé d’avoir assassiné sa femme. C’est la première fois que la télévision sud-africaine est autorisée à retransmettre un procès et tous les Sud-africains, même ceux de Mayotte, ont découvert le fonctionnement de la justice de leur pays. Ida Nel est intarissable sur les stratégies des avocats et les détails de l’affaire. Mieux qu’un feuilleton de l’après-midi, une histoire vraie, hors norme.
Une histoire à part, comme la sienne.
RR