Tandis que les “grandes personnes” débattent, tergiversent, grèvent, bloquent, contestent et protestent, des petites voix peinent à se faire entendre. Et le sentiment d’injustice est d’autant plus grand que ces petites voix sont celles de la majorité, celles de la jeunesse de Mayotte. En Novembre déjà, lors du séminaire de la jeunesse, des centaines de jeunes adultes avaient exprimé leur frustration de ne pas être écoutés, d’être tenus à l’écart du débat public. C’est plus vrai encore depuis le début de la grève pour la sécurité que la jeunesse encaisse de plein fouet. L’association Céméa leur permet de donner de la voix.
“Depuis un mois on a été un peu bloqués dans nos actions puisqu’on agit sur l’ensemble du territoire. Donc on a décidé de faire des actions à Mamoudzou explique Malika Delaye, coordinatrice du point écoute jeunes au Céméa Mayotte. “On s’est rendus compte avec les jeunes qu’il y a un besoin en espace de parole autour des grèves. Ils se sentent abandonnés et peu écoutés par les adultes” poursuit-elle.
Depuis trois semaines, une trentaine de jeunes du Grand Mamoudzou, de Majicavo à Tsoundzou se sont retrouvés tous les mercredis au centre Céméa de Passamainty pour échanger entre eux, et mettre au point une communication qui leur ressemble pour se faire entendre. “Ils avaient une demande très forte de relayer leur parole plus loin” explique la coordinatrice.
Leurs discussions ont beaucoup porté sur les discriminations. Ethniques d’une part, mais aussi vis à vis de la jeunesse. Et de l’avenir de Mayotte aussi, dans un contexte de grève qui creuse leur sentiment d’abandon.
“Quand les parents grèvent, ils pensent à eux mais pas à nous. Et après, ils vont dire qu’on ne travaille pas.”
“On est là pour parler de ce qui se passe pendant les grèves, pose Oidaenti, 22 ans, de Passamainty. Beaucoup de choses reculent, c’est l’avenir de Mayotte qui est en jeu. On dit que c’est nous l’avenir, mais les jeunes ne peuvent plus aller à l’école. Céméa est avec nous et nous aide à avancer, à dire ce qui nous fait mal. Ce qui se passe dans les barrages nous choque. On ne s’attendait pas à ce que ça se passe comme ça. Ce qu’on voit, ce n’est pas bien. Quand les parents grèvent, ils pensent à eux mais pas à nous. Et après, ils vont dire qu’on ne travaille pas.”
“Ils ont le droit de faire grève, rebondit Fouraha, 19 ans, de Kawéni. La sécurité c’est pour nous tous qui vivons à Mayotte. Mais il faut respecter les autres. Ceux qui préparent le bac ou le brevet. Beaucoup risquent de ne pas l’avoir. Ils font grève alors que les examens approchent. Ils ne veulent pas enlever les barrages et on ne comprend pas bien pourquoi. Visiblement ils pensent que ce sont les Anjouanais qui font des crimes, mais non. C’est tout le monde.”
“Réunir des jeunes dans cet espace ne peut être que bénéfique” résume Anissa, animatrice originaire de Majicavo. On réalise qu’on n’est pas les seuls à penser comme cela. Ca permet aussi de mieux dormir. Quand la grève a commencé, on ne sortait presque plus de la maison, là on a une oreille active.”
Une oreille active et un langage bien à eux. “Certains sont là pour exprimer leurs sentiments, complète Ismaël, bénévole de Doujani. On a fait des sketches, des vidéos, un slam. On essaye de passer un message pour nous parents et pour les gens qui grèvent.”
Ce message verra bientôt le jour sur Internet grâce à une production vidéo qui sera rendue publique. En attendant, les jeunes des ateliers Céméa ont repoussé leur trac pour crier leur rejet de “l’exploitation et la maltraitance”, de “la discrimination” et de “la violence”. Un slam sur la violence a particulièrement captivé. Intitulé Bass la violence, il se conclut par “on se trompe”.
“On a voulu faire passer le message qu’on se trompe tous sur l’île de Mayotte. Il y a de la violence mais ce n’est pas en accusant quelqu’un qu’on va la résoudre.”
Des paroles de sagesse sur fond de tensions ethniques aux barrages, que nombre d’adultes seraient bien avisés d’écouter.
Y.D.
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