Les trois conférences proposées mercredi dernier par l’association Zangoma tournaient autour de ce qui a construit ce peuple mahorais, mais aussi les habitants des quatre îles des Comores. Elle proposait cette année ce supplément scientifique au Festival d’Arts contemporains des Comores (FACC).
Écueils : la communication et la mobilisation qui n’étaient pas au rendez-vous pour ces conférences… l’amphi était aux trois quarts vide. Une déception pour l’organisatrice Fatima Ousseni.
Le premier exposé de Mohamed Nabhane, portait sur les mots comoriens d’origine arabe. Orienté sur la rédaction de sa thèse portant sur les enjeux et les problématiques d’un dictionnaire arabo-comorien, son corpus, sa base de travail, était donc celui de trois versions différentes de dictionnaires, d’où il tentait de dégager les origines des mots.
L’enseignant d’arabe notait en préambule la similitude des shimaore, shizuani et shingazidja, respectivement « langues de » (shi) Mayotte, Anjouan et Grande Comore : « une intercompréhension quasiment parfaite, dont la différence n’est que phonétique et peu grammaticale ».
De ce comparatif sortira une moyenne d’un tiers de mot d’origine arabe dans les trois langues. « Dans le reste, on trouve un peu de français, du portugais, du persan, de l’anglais, le tout de manière anecdotique, l’origine bantoue est majoritaire », conclut l’enseignant. Il encourageait donc les élèves mahorais à profiter de cet acquis pour s’orienter vers l’arabe plutôt que l’espagnol en seconde langue. Outre l’intérêt que l’acquis, il s’agit aussi de valoriser un patrimoine.
L’écrit comme seul témoin
Mais c’est surtout Mlaïli Combo qui nous amenait sur le chemin de nos origines, dans une conférence intitulée « Les chroniques mahoraises, l’origine arabo-shirazienne comme origine fondamentale » du pouvoir insulaire ». La seule lecture du passé proposée par les autochtones, « et de manière fidèle puisque assise sur le ‘bismila-au nom de Dieu’ », précise Mlaïli Condro, est retracée dans les Chroniques mahoraises.
Cinq manuscrits, le premier du Cadi Omar Ben Aboubacar et le 5e, les Chroniques de Tsingoni, qui évoquent l’arrivée des shiraz* au 16e siècle jusqu’à la colonisation française au 19e siècle. Si elles sont importantes sur le plan historique, ces Chroniques sont aussi un acte politique : « remise au pouvoir colonial, elles mettent en valeur le capital historique de l’île ».
Les sultans mahorais, anjouanais, Mohéliens ou les princes malgaches qui en sont les acteurs, n’ont pas tous « la côte ». « Les sultans malgaches ou anjouanais passent pour être des usurpateurs, car non issus de la matriarcalité de l’île. Il s’agit là d’un pouvoir insulaire qui n’accepte pas la patrilinéarité qu’on leur propose ».
Mériter le label « civilisation »
L’arrivée des shiraziens peut être considérée comme « un fait majeur de la civilisation », l’anarchie régnait auparavant, avec une division de l’île en une multitude de territoires dirigés par les chefs locaux. « Mais le sultanat crée des hiérarchisations », entre îles, et au sein de la société, « et donc des injustices », remarque Mlaïli Condro.
Puis les Chroniques attestent de la mort du sultanat remplacé par la colonisation, « qui s’avance aussi comme civilisatrice ». Mais elle induit dans ce milieu de 19e siècle, l’esclavage, puis les ouvriers engagés.
Ce sera d’ailleurs le thème de la 3ème conférence de Dénetem Touambona sur « La fugue créatrice des nègres marrons », du qualificatif de ces esclaves fugitifs qui ont constitué les communautés marronnes, de l’espagnol « cimarrón », « fugitif ». Une fugue du colonisé par la pensée, l’imaginaire la nuit, mais aussi par la mort, « le plus court chemin vers les ancêtres ». C’est la résistance marronne, « la réinvention de l’Afrique ».
La conclusion, c’est l’exposé de Mlaïli Condro qui nous la fournit : le jugement que l’on apporte sur les différentes gouvernances, chefs tribaux, sultanat, ou puissance colonisatrice, dépend étroitement de la source de lecture.
Selon que l’on utilise nos livres d’histoire métropolitains, les Chroniques mahoraises ou la littérature comorienne, le ressenti ne sera évidemment pas le même. On apprend que « la littérature comorienne s’avère impérialiste, qui gomme les injustices laissées par le sultanat, et valorise l’apport des Arabes au détriment de celui des Africains », rapporte Mlaïli Condro. Chacune annonce être porteuse de valeurs. Il sera intéressant de pousser plus loin en déterminant celles qui furent bénéfiques pour l’individu et la société.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*Les Shirazis forment un groupe ethnique présent en Afrique de l’est et dans l’océan Indien occidental. Ils viennent du golfe Persique, pratiquent l’islam, et s’établissent sur le littoral africain lors d’échanges commerciaux réguliers. Ils y fondèrent des sultanats.
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