A force de répondre qu’on fait beaucoup pour ce département, alors que les critiques de la Cour des Comptes sont chiffrées, un dialogue de sourd s’installe. Le député mahorais Ibrahim Aboubacar a tenté de le rompre hier par une question au Premier ministre.
Notre député est intervenu fermement ce mercredi à l’assemblée nationale lors de la séance de questions ouvertes au gouvernement. Lui qui nous a habitué à un ton plutôt consensuel avec ce gouvernement du même bord politique que lui, s’est lâché pour interpeller le Premier ministre sur le rapport en forme de constat sévère dressé par la Cour des comptes: «La Départementalisation de Mayotte, une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire».
Le politicien sadois sait bien que le texte offre à Mayotte une chance unique de se faire entendre qu’il ne faut surtout pas brader. Et lorsqu’il évoque «un constat lucide» de la situation, il rejoint le sénateur Thani Mohamed qui parle de «constat juste».
Il relève surtout que «malgré les réformes menées pendant 15 ans, il apparaît d’une part que les chantiers fondamentaux préalables, de l’Etat-civil, du Foncier, de la Réforme fiscale et de la formation des agents publics pour ne citer que ceux-là, n’ont pas été conduits à terme et que d’autre part son pilotage a été insuffisant.» Une alerte, si l’en fallait, de la considération que les gouvernement successifs ont eu pour Mayotte.
Les « indemnités » du CPER
Son intervention s’adressait au Premier ministre, c’est George Pau-Langevin qui lui répondra. Comme le souligne la ministre des Outre-mer, on peut concéder à l’actuelle équipe gouvernementale un rattrapage comme il y en a eu peu dans le passé : «Investissement dans 350 salles de classe, doublement du RSA…» détaillait-elle, tout en mouchant au passage l’ancien député LR Mansour Kamardine, toujours pour son interview dans le Figaro: «Une information déraisonnable (…) qui oublie que la départementalisation a été préparée entre 2008 et 2012», soit sous la présidence de Nicolas Sarkozy, «des critiques mal venues.»
Pourtant, la ministre finit par botter en touche, «Mayotte va se moderniser, je suis confiante», en annonçant une «indemnité» du Contrat de Plan Etat région (CPER) à Mayotte 5 fois supérieure à ce qui se fait ailleurs. Or, l’investissement dans le CPER n’a rien d’une indemnité, mais découle d’une participation conjointe de l’Etat et du département, les investissements étant étroitement liés à ce jumelage. Ils peuvent ainsi ne jamais aboutir si le second fait défaut, ce qui s’est produit précédemment.
« Un chemin périlleux »
S’il faut comparer l’effort budgétaire de l’État par habitant dans les DOM, il suffit de reprendre les chiffres de la Cour des Comptes: «De 6.420 euros en Guyane, 5.331 euros à La Réunion mais de seulement 3.964 euros à Mayotte.» Ainsi, la dotation globale de fonctionnement (DGF) est de 473 euros par habitant à La Réunion contre 130 euros par habitant à Mayotte.
Et alors même que l’Etat s’engage moins, notre département a perçu en 2015 les deux tiers seulement de la somme promise : 107 millions d’euros contre 165 millions d’euros.
La ministre évoque aussi le document cadre Mayotte 2025, qui ne se concrétisera pourtant, comme le faisait remarquer Ibrahim Aboubacar, «qu’à condition que des décisions fondamentales de recadrage, de redressement et de programmation, soient prises sans délais par l’Etat et les Collectivités locales.»
Alors oui, comme le dit la ministre, en félicitant «les élus au travail», il y a «énormément de travail», et surtout «beaucoup d’investissements à mettre». Il ne suffit pas de le dire, car à les contourner, il y a un risque, celui «de voir ce jeune département dériver de façon incontrôlée vers un chemin périlleux», met en garde le député.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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