« Mayotte peut être la possibilité d’un enrichissement de la nation ». Ce n’est pas un sénateur mahorais qui le dit, mais Michel Vergoz, un sénateur qui connaît bien le territoire. Pour évaluer les dysfonctionnements sanitaires régionaux, les sénateurs Alain Milon, Gilbert Barbier, Laurence Cohen Chantal Deseyne et Jean-Louis Tourenne sont venus en début d’année 2016 dans l’océan Indien, plus exactement à La Réunion, car les émeutes à Mayotte les en avaient empêchés. Ils se sont donc basés sur un rapport de l’ARS et une rencontre avec le directeur du Centre hospitalier de Mayotte (CHM).
Une situation sanitaire des outre-mer « mal connue, voire négligée », c’est ce qui avait incité cette mission sénatoriale à choisir notre région de l’océan Indien. Pas du tout par hasard puisqu’ils avaient été alertés par « un constat extrêmement alarmant » du rapport de la Cour des comptes de juin 2014 sur nos deux territoires : « Jusqu’à 35% de l’eau distribuée à La Réunion ne serait pas potable, et 57% de la population n’aurait pas accès à de l’eau de bonne qualité ».
Quant à Mayotte, « la prévalence de l’hépatite B est prés de 5 fois supérieure à celle de l’Hexagone ». On constate aussi que sur 10.000 naissances annuelles*, 15.000 dans les prochaines années, relèvent-ils, 60% des parturientes sont comoriennes, « 80% plutôt », corrige Thani Mohamed Soilihi qui assistait au débat en séance sur ce rapport-etat-sanitaire-mission-senatoriale. Ce qui signifie que faute de dossier, on ne peut reconstituer les antécédents médicaux de ces futures mamans.
Un constat toujours alarmant sans véritable décisions
Les sénateurs avaient plusieurs objectifs en tête en arrivant dans la région, notamment d’améliorer la lutte contre le syndrome d’alcoolisation fœtale fortement présent à la Réunion, mettre à niveau la capacité d’accueil de la maternité du CHM en créant un Pôle mère-enfant, faire de La Réunion une région expérimentale en matière de développement de la télémédecine, assurer l’extension de la CMU-C à Mayotte ou revoir les conditions d’attribution de l’Indemnités particulière d’exercice pour les praticiens hospitaliers qui impose de rester 4 ans sur le territoire.
En dépit des progrès importants au cours des dernières années, la situation sanitaire à Mayotte reste « très inquiétante dans un contexte social explosif », selon les sénateurs, avec « la présence à l’état endémique de maladies infectieuses oubliées dans l’Hexagone, la lèpre et la leptospirose, le développement de pathologies diverses résultant du mode de vie, une société déstabilisée par le poids de l’immigration illégale. »
« Face à ce sombre tableau, que faire ? », s’interrogent-ils, en convenant que les réponses dépassent le cadre de leur mission. Cela passe par « un grand plan de développement des Comores », mais avec un accompagnement, « la Chine a ainsi construit un hôpital parfaitement équipé, mais non exploité du fait de manque de moyens des autorités comoriennes pour le faire fonctionner », y étendre la CMU complémentaire qui permettrait un recours à la médecine libérale sans frais supplémentaires pour les ayants droits, ou la mise en place d’un Pôle mère-enfant à l’hôpital.
Solution testée à Calais
Un catastrophisme que ne mérite pas tout à fait Mayotte, relève le sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi : « Bien des analyses formulées depuis la métropole relèvent de la caricature et témoignent d’une méconnaissance abyssale de ce territoire (…) qui est plus riches de possibilités et de perspectives pour l’avenir qu’il ne recèle de difficultés. » Il prend comme marqueur la religion : « Si la population est à 90% musulmane, on n’y constate pas pour autant de problèmes relatifs à la laïcité. Je dirai même que la coexistence entre l’islam et la République est un non-sujet à Mayotte. »
Pour lui, la départementalisation « mal préparée », comme l’avait soulignée la cour des comptes, relève de la responsabilité des collectivités et de l’Etat. Les solutions sont connues, il les rappelle : l’instauration de la CMU-C, « et qu’on ne vienne pas me parler d’appel d’air, il est déjà là », la prise en charge des 45% de population clandestine comme on le ferait à Calais.
Encore une fois la même conclusion revient sur le tapis, quoiqu’avec plus d’insistance : « il n’y aura pas de règlement de la situation mahoraise en l’absence d’évolution sur la question franco-comorienne. Sans doute coute-t-il plus cher de repousser l’immigration en provenance des Comores que de faire du co-développement avec ce pays », souligne Michel Vergoz, qui propose de donner à la Commission de l’océan Indien, créée en 1982, un rôle central : « Alors qu’un nouveau secrétaire général doit être désigné, il est semble-t-il difficile de trouver un représentant français pour participer à cette réunion. Ce n’est pas normal ! »
Et oui, cher sénateur Vergoz, ce n’est pas normal que la France ne montre aucune volonté politique de résoudre ce problème.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Le taux de mortalité infantile «serait près de quatre fois plus élevé que dans l’hexagone avec une estimation de 13,5 pour mille contre 3,6 pour mille pour l’année 2007», et la part des enfants mort-nés est 2,5 fois plus importante qu’en métropole
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