C’est une nouvelle claque que l’on prend à la lecture de la dernière publication de l’Agence Régionale de Santé Océan Indien (ARS OI). (Lire ARS_Statiss2016_HD). STATISS, pour STATistiques et Indicateurs de la Santé et du Social 2016, est un tableau exhaustif des données médico-sociales.
Première critique : la version nationale de l’ARS agglomère les deux départements français de l’océan Indien, La Réunion et Mayotte, ce qui ne permet toujours pas à nos décideurs parisiens de se faire une idée des graves manquements qui touchent notre département. L’ARS OI a donc décidé de scinder les deux et de proposer un STATISS local. Et c’est une succession de déficiences à Mayotte qui est soulignée au fil des pages.
Les données démographiques, qui servent pourtant de comparaison, sont truffées de mentions « non diffusées », en raison des estimations qui prévalaient jusqu’à présent du côté de l’INSEE. Elles concernent le taux de natalité, le taux de mortalité infantile, ou le nombre de décès, pas même pour 2012, année du dernier recensement. L’INSEE nous précise que le taux de mortalité est « en cours d’expertise ».
Un seul hôpital contre 9 à La Réunion
Le premier tableau détaille les causes de décès. Ils sont évalués à 265 à Mayotte pour 2013, avec un delta lié à la mauvaise qualité des fichiers d’état civil à Mayotte, mentionne l’ARS. Si la plupart ne sont pas expliqués, 83, il apparaît que 55 sont liés à des maladies de l’appareil circulatoire, (pas de mention du diabète qui pourrait être en cause) et 45 à des tumeurs.
A noter que parmi les maladies à déclaration obligatoire les plus courantes, Mayotte est particulièrement touchée par l’hépatite aiguë A, dont on guérit la plupart du temps, provoquée par le manque d’eau potable, lié à l’insuffisance d’assainissement et d’hygiène. Et ce sont des données de 2014, donc avant la crise de pénurie d’eau que nous venons de connaître…
On a souvent répété que Mayotte était déshéritée en terme d’équipements et de personnels de santé, le reste du document est impitoyable à cet égard. La carte des équipements sanitaires s’orne de petites croix. Une seule est rouge à Mayotte, pour identifier le seul Centre hospitalier (CHM). Contre 9 à La Réunion, et 15 établissements sanitaires au total. A Mayotte, ce sont les 13 dispensaires qui gèrent l’ensemble de la population. Nous n’avons que deux établissements privés, tous les deux centres de dialyse, quand La Réunion est couverte par 12 établissements de soins de suite et de réadaptation. Mayotte est en passe d’avoir le sien en Petite Terre.
Trois à quatre fois plus d’avortement qu’en métropole
Le nombre de lits est ridiculement faible, 149 contre 1.133 à La Réunion, soit 2 fois moins si on le rapporte à la population, par contre le taux d’équipement en gynécologie est deux fois plus important en raison du nombre de naissances.
Beaucoup de femmes ont recours à l’avortement à Mayotte. Le nombre d’Interruptions Volontaire de Grossesse (IVG) est de 1.517, contre 3.262 à La Réunion, surtout chez les jeunes filles de 15 à 17 ans, 25,9 ‰ (pour 1.000) à Mayotte contre 16 ‰ à La Réunion, et 7,6 ‰ en métropole.
En psychiatrie, en dehors des 10 places du service dédié au CHM, aucun centre n’est spécialisé.
Les structures censées accueillir les populations fragiles sont également peu représentées. Il n’y a pas de maison de retraite, ni d’EHPAD*, 6 places d’hébergement pour les adultes handicapés, et le seul IME (Institut Médico Educatif), il y en a 16 à La Réunion, est celui de Toioussi, une association membre du groupe SOS. Idem, l’unique Institut thérapeutique Educatif et Pédagogique est le Mar’Ylang de Tama, et compte 24 places. La Réunion propose 3 structures pour les jeunes déficients sensoriels, il n’y en a aucune à Mayotte.
Un gros effort à faire dans la formation
On connaît notre désert médical, 130 médecins généralistes, dont 20 libéraux au 1er janvier 2016, soit 61 pour 100.000 habitants, contre 142 à La Réunion et 155 en métropole. Ce qui se traduit par des heures de files d’attente lors d’épidémie de gastro-entérite que nous connaissons, quand cela ne se calcule pas en jours. (Nous publions ci-contre le tableau qui détaille les professionnels de santé). On y note 14 chirurgiens dentistes, dont la moitié exerce dans le privé. Soit une densité de 7 pour 100.000 habitants contre 52 à La Réunion. Et très peu de spécialistes.
Malgré ses richesses, Mayotte peine à attirer ces professionnels. Les autorités en ont conclu qu’il fallait former des locaux. Oui, mais là aussi, ça pêche. Quand La Réunion propose 23 formations, dont 10 dans le sanitaire comme des aides soignants ou des sages-femmes, Mayotte ne produit que des futurs auxiliaires de puéricultures et des infirmiers, et surtout, rien du tout dans le social. Une petite amélioration est à attendre de l’implantation récente de l’IRTS à Mayotte, avec la première promotion de moniteurs éducateurs, mais nous sommes loin du panel proposé à La Réunion.
En matière de protection sociale enfin, depuis les statistiques de l’ARS OI qui remontent à 2014, l’Allocation aux personnes âgées (APA) est arrivée à Mayotte, ainsi que l’Allocation Adulte Handicapé, mais leurs taux sont encore très inférieurs au national. Quant au RSA, sa marge de progression est forte, puisqu’au 31 décembre 2015, seuls 8,5% de la population y avait recourt, contre 33,2% à La Réunion, et 7,7% en métropole où le niveau de vie est plus élevé.
La balle est dans le camp des élus qui doivent monter au créneau comme l’a souligné Annick Girardin, pour aller chercher les milliards promis aux Outre-mer, notamment auprès de l’ARS, et tenter de rattraper ce retard structurel.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes
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