A écouter Soibaha Chanfi, de la Direction des Ressources terrestres et maritimes du Département, il faudrait tout remettre à plat en matière de politique agricole, « on marche sur la tête ». Dur constat pour un 1er comité de pilotage du Plan sectoriel du Développement Agricole et rural (PSDAR) du Nord de Mayotte, censé déterminer les actions d’accompagnement à la redynamisation et l’augmentation de la production des cultures et des élevages, tout en protégeant l’environnement et la santé des mahorais, et en vue de répondre à la demande de produits frais dans les cuisines centrales et le ravitaillement dans les marchés.
Le technicien part d’un constat, dont le premier point est transversal à tous les domaines à Mayotte : « Les fonds européens ont été mis en place, mais nous n’arrivons pas à les capter car l’agriculture n’est pas structurée ». Un passage en Région ultrapériphérique européenne précocement acté sur un territoire peu développé par l’Etat, en sont la causes. Ce qui doit amener les Mahorais à se réveiller, appelle-t-il : « Le conseil départemental doit récupérer la gestion des fonds, mais auparavant, accompagner le développement de l’agriculture. Car ces fonds ne sont pas calibrés pour nos spécificités. »
D’une île verte à une île rouge
Autre facteur bloquant, « l’ingénierie » autour des exploitations agricoles : « Les techniciens de la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt, la DAAF, ne connaissent pas, pour la plupart, la production en zone tropicale. » Il s’explique : « On continue à planter des bananiers un peu partout, y compris en zone aride, alors que la banane est composée de 97% d’eau. On commet les mêmes erreurs pour beaucoup de plantations, on s’aperçoit que des maladies arrivent, et on nous recommande de l’Ecophyto, mais commençons par proposer un diagnostic agraire avant chaque prévision de culture. »
Les problématiques de blocage étaient évoquées lors de ce 1er comité de pilotage, la problématique foncière, « elle ne se résoudra qu’en découpant l’île en plusieurs zones sur lesquelles il faudra travailler », celle de l’eau, « c’est de la folie, comment peut-on laisser notre île s’abîmer comme ça, avec des défrichements sauvages, nous devons nous mobiliser. Nous sommes passés d’une île verte à une île rouge ! »
« Décolonisation des cerveaux »
Pour venir à bout de ces problèmes, il le martèle, « les Mahorais doivent être acteur, ils doivent décoloniser leurs cerveaux et prendre leur développement à bras le corps. Nous devons retravailler notre écosystème, il y a des difficultés, mais les difficultés c’est d’abord nous–mêmes. »
Quand il énumère les niches, on prend la mesure de l’éventail des possibles, « on aime manger chips et frites, mais nous importons des pommes de terre alors que nous pourrions proposer des chips de manioc à grande échelle et des frites de fruit à pain ». Et bien meilleures que des pommes de terre importées et stockées dans des chambres froides. Et se plaint de procédés inversés, « l’objectif n’est pas d’aller chercher des fonds, mais de développer l’agriculture ».
Car les enjeux sont aussi grands que les marchés : « La restauration collective est un puissant levier, avec 100.000 scolaires cette année à Mayotte, le centre pénitentiaire, les collectivités. Ce sont des débouchés, mais aussi des créations d’emploi et un avenir économique. »
Sa conclusion totalement défaitiste, « nous sommes juste des consommateurs bêtes et méchants, là ! », incite à lancer un appel pour que les collectivités de Mayotte relèvent ce défi en se concertant.
Anne Perzo-Lafond
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