A l’échelle des rapports fournis jusqu’à présent par le Défenseur des droits, celui-ci est quasiment révolutionnaire. D’abord parce qu’il évoque l’insuffisance de services publics pour l’ensemble de la population, mais aussi parce qu’il dévoile une stratégie néfaste de l’Etat jusqu’à présent.
Les 2 et 3 octobre 2019, la Défenseure des enfants et la Secrétaire générale du Défenseur des droits, se sont rendus à Mayotte pour rencontrer les services déconcentrés de l’Etat, les administrations et acteurs locaux. En 2019, les 3 délégués du Défenseur des droits ont traité près de 600 réclamations individuelles.
Le constat livré en préambule est sans appel pour Mayotte : « Les droits fondamentaux – droit à l’éducation, à la sureté, à la santé, à vivre dans des conditions décentes – n’y sont pas effectifs. Le manque d’infrastructures en matière de soins et d’éducation notamment, le coût de la vie, l’insécurité et les crises sociales qui ébranlent régulièrement l’île nuisent à son attractivité. Peinant à recruter, les services publics se trouvent de fait saturés, et Mayotte semble enfermée dans un cercle de misère dont elle ne parvient pas à s’extraire. Dans ce contexte, l’immigration cristallise les regards. »
Les trois quarts de la population (dont un quart d’étrangers) en situation régulière, « doit jouir d’un égal accès aux services publics sans discrimination au regard de leur nationalité », et un quart en situation irrégulière en attente d’un titre de séjour mais qui « rencontre des difficultés pour accéder aux guichets préfectoraux », incite le rapport à pointer le « sous-dimensionnement » des services publics.
La LIC, une cape d’invisibilité pour les droits
En réponse au dénuement des infrastructures, l’Etat est accusé de se focaliser « sur la lutte contre l’immigration irrégulière, au risque de creuser les clivages et d’attiser les tensions sociales », accuse le Défenseur des droits. Sur les 27.000 reconduites annoncées ce lundi, on estime traditionnellement à 50% la proportion de ceux qui reviennent sur le territoire, « ce qui ne diminue pas le nombre de personnes prétendant à des services publics de qualité », et favorise l’exploitation de filières de passeurs.
Au cœur du rapport, Jacques Toubon accuse l’Etat de ce qu’on pourrait qualifier d’un tour d’illusionniste : « L’accent mis sur la lutte contre l’immigration irrégulière détourne les regards et invisibilise la responsabilité qui incombe à l’Etat de garantir aux habitants de Mayotte une égalité de droits réelle avec ceux de la métropole. »
Un raisonnement qui pousse l’Etat à « refuser illégalement un droit dû plutôt que de prendre le risque de trop donner », en sous-entendant que « l’amélioration des biens et des services profitera d’abord aux étrangers ». Est notamment pointée une « protection sociale dérogatoire », en particulier, l’absence de couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c, annoncée pour 2022) et l’aide médicale de l’Etat (AME) n’y existent pas (…) accentuait de fait la pression pesant sur le CHM ».
Le rapport pointe que « l’île souffre d’abord et avant tout d’un problème majeur d’accès aux services publics et d’exercice réel des droits qui affecte l’ensemble de la population quelle que soit sa nationalité ». Personne n’est oublié…
Dans ce contexte, le Défenseur des droits entend dénoncer chaque nouveau recul du droit à Mayotte, qu’il soit « le fruit de pratiques illégales ou de l’adoption de nouvelles dispositions dérogatoires, ces dispositions tendant toujours à éloigner Mayotte du droit commun pour en faire une terre juridique d’exception ».
4 fois moins de lits d’hôpital que dans le reste du pays
Les secteurs plus particulièrement touchés sont connus : l’accès aux soins, à la scolarisation et à la protection de l’enfance.
Pour le premier, « sous-dimensionné au regard des besoins », le nombre de lits pour toute l’île est de 411, soit 1,6 lit pour 1.000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 6 lits pour 1.000 habitants.
Sur l’accès à la scolarisation, les maires sont toujours accusés de demander des listes de pièces justificatives qui « excèdent les exigences légales », en réponse au problème de rotation qui toucherait 40% des établissements de l’île. 2.700 enfants de 6 à 16 ans ne seraient pas scolarisés en 2017 selon l’INSEE.
Les services de la protection de l’enfance sont pointés du doigt pour leurs défaillances malgré la compensation de l’Etat, liées « tant à l’inertie des services ressources humaines, services techniques, qu’à des insuffisances en termes de compétences et de formation des professionnels dans la prise en charge des enfants ».
Parmi les obstacles à l’exercice effectif des droits relevés par les services du Défenseur des droits, certains sont tels « qu’ils imposent d’emblée des recommandations ». Ces recommandations n’ont pas de pouvoir de sanction.
En conclusion, le Défenseur des droits préconise de renforcer les coopérations entre les différents acteurs de l’accès aux droits présents sur l’île, au sein du CDAD.
Anne Perzo-Lafond