L’actualité mahoraise joue avec les nerfs de ses habitants ces temps-ci. Alors que l’île perd un peu plus de surface littorale, elle n’a jamais autant attiré les candidats à l’immigration clandestine. Le GELIC (Groupe d’enquête et de lutte contre l’immigration clandestine) n’aura pas encore fêté son année d’existence que le nombre de filières à démanteler se multiplie comme des petits pains de singe*.
Outre le démantèlement de la filière de ressortissants de République Démocratique du Congo, il a fallu la semaine dernière se mettre à parler le Sri Lankais, pour tenter de comprendre comment ce boutre à voile était arrivé sur nos côtes avec 18 personnes à bord. Le ministre de l’Intérieur de passage à Mayotte, l’avait glissé aux journalistes, « le Sri Lanka est un pays sûr », personne n’a donc été étonné que les migrants se soient vus notifier « un refus d’entrée immédiatement », comme nous le rapportions. Une procédure de demande d’asile à la frontière qui a accéléré le dispositif de traitement, nous explique Edgar Perez, Secrétaire général de la préfecture de Mayotte.
Sur l’ensemble des demandes d’asile qu’ils ont aussitôt formulées, seules 6 seront examinées par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), très pointilleux dans l’examen des dossiers. L’issue est donc souvent synonyme de rejet. En attendant, ces six là dorment dans la rue depuis qu’ils sont ressortis du Centre de Rétention Administratif (CRA).
Habituellement, c’est l’association Solidarité Mayotte qui pourvoit à leur hébergement en attendant une décision de l’OFPRA. Mais là, l’afflux de migrants est tel, qu’ils ne peuvent plus accueillir, ainsi que nous l’explique Romain Reille, son directeur : « Nous percevons des subventions du ministère de l’Intérieur pour 55 places d’hébergement. Or, rien qu’en mai, nous avons fait face à 143 arrivées ». Généralement, peu de Comoriens demandent l’asile, puisqu’à peine avoir touché les côtes, ils s’éparpillent dans la nature, « ce sont surtout des africains des Grands Lacs, et, c’est nouveau, nous hébergeons 28 ressortissants de la zone Yémen, Syrie, Inde et Sri Lanka. »
“Mayotte est en train de devenir la 3ème voix d’immigration”
Depuis plusieurs mois, les arrivées ont considérablement augmenté, signale-t-il, « nous avons dépassé les 2.000 prises en charge en file active, c’est à dire, des personnes qui ne sont pas encore passées par l’OFPRA, ou qui ont lancé un recours après un refus. Pour vous donner une idée, depuis début 2019, nous sommes à 668 primo arrivants, donc sur moins de 6 mois, or, c’est un chiffre que nous n’avons même pas atteint sur l’ensemble de l’année 2018. Il a plus que doublé ! »
Et pour Romain Reille, la raison est simple : « Les filières se structurent, les flux s’accentuent, et surtout, cela fait trois ans que je mets en garde, Mayotte est en train de devenir la 3ème voix d’immigration. Au fur et à mesure que les portes de l’Europe se referment, les personnes cherchent d’autres voix d’accès, et Mayotte en fait partie. »
Un flux qui crée des tensions, certains désignant même l’association Solidarité Mayotte comme une des fautives de ce contexte. Romain Reille sourit jaune : « Non seulement nous travaillons avec la Lutte contre l’Immigration clandestine pour signifier les arrivées qui transitent par Madagascar, mais nous sommes également acteurs dans le démantèlement des filières qui instrumentalisent le trafic d’êtres humains. On arrive à des aberrations : l’autre jour, une femme de 80 ans est arrivée, en fin de vie donc, pour demander asile ! »
Aucune allocation pour survivre
Le devenir de ces hommes et femmes qui ont dépensé leur fortune pour une quête de vie meilleure, est binaire, en tout cas dans les textes. Une fois leur demande d’asile satisfaite, les réfugiés partent « à 95% » en métropole, « c’est pourquoi nous demandons que le dossier soit traité le plus rapidement possible ». Rappelons qu’une permanence de l’OFPRA est souhaitable, avait été souhaitée, jamais concrétisée.
Et ceux qui sont déboutés de leurs demandes doivent théoriquement être expulsés. En pratique, c’est plus compliqué, et sur l’ensemble du territoire national, ils seraient 96% à rester sur place, en situation irrégulière, selon un chiffre 2015 de la Cour des Comptes qui avait été contesté. « A Mayotte, les services de l’Etat effectuent un suivi et tachent de les renvoyer chez eux », rapporte Romain Reille. C’est en effet ce qui est mis en place pour les onze Sri-lankais déboutés, puisque selon nos informations, un avion est affrété spécialement par la préfecture pour les ramener chez eux, avant la fin de la semaine.
En attendant que leur dossier soit épluché, et pour les demandes d’asile classiques cela peut mettre plusieurs mois, voire années, les migrants n’ont aucune ressource pour survivre à Mayotte. L’Allocation pour Demandeur d’Asile (ADA**) n’a jamais été mise en place, pas plus qu’un CADA, un centre d’accueil des Demandeurs d’Asile, en vigueur dans le reste du pays, nous sommes donc toujours dérogatoires au CESEDA, le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile .
La raison invoquée est la même que celle qui a freiné pendant des années toute volonté de convergence des droits sociaux à Mayotte, la peur d’un appel d’air. Un argument qui ne prend pas pour Romain Reille : « C’est ce que l’Etat explique quand il ne veut pas mettre la main à la poche. Ça permet de botter en touche. S’il y avait l’ADA et un CADA, les bénéficiaires n’auraient pas besoin d’aller engraisser les marchands de sommeil, et d’encourager l’habitat précaire. Chaque demandeur d’asile reçoit un euro par jour pour vivre actuellement à Mayotte. »
En résumé, Mayotte doit veiller d’un œil sur le contexte géopolitique comorien, et de l’autre, sur les décisions des grands de l’Europe, qui rejaillissent directement sur nos côtes.
Anne Perzo-Lafond
* Fruit du baobab
** En métropole, elle est de 6,80 € par jour pour une personne seule à 17 € par jour pour un couple avec deux enfants