Le journal de Mayotte : Dans quelle situation se trouve-t-on aujourd’hui au CHM ? Arrive-t-on à faire face ?
Nora Oulheri : Nous sommes évidemment en situation de crise. Mais c’est aussi le cas sur l’ensemble du territoire français. Le CHM s’adapte pour gérer cette crise au mieux : nous sommes au niveau 2 du plan de gestion des situations sanitaires exceptionnelles. Ce qui implique des mesures d’augmentation de lits, de ressources humaines, des augmentations de matériel ainsi que la sollicitation de partenaires extérieurs que sont la réserve sanitaire et le service de santé des armées.
Le J.D.M : Où en est-on de ces renforts ?
N. O. : Nous avons reçu des membres de la réserve sanitaire le week-end dernier. Il s’agit d’une vingtaine de personnes, essentiellement des infirmières et des infirmières anesthésistes. Et nous devons recevoir le service de santé des armées ce samedi qui vient avec son équipe mobile de réanimation (EMR) composée de soignants et de matériel. Nous avons installé une unité de cinq lits avec le matériel du CHM et la ressource humaine des armées et nous devrions pouvoir étendre cette unité à 10 lits grâce au matériel qu’ils apportent avec eux.
Le J.D.M : Au total, de combien de lits de réanimation arrivez-vous à disposer grâce à cette mobilisation ? Cela devrait-il suffire ?
N. O. : On monte à au moins 32 lits. Je pense que c’est à peu près l’équivalent de ce qu’on avait pendant la première vague même si je n’étais pas sur place. Oui, ces lits vont rapidement être remplis, c’est certain. Si l’on en vient à être dépassés, je ne peux pas le savoir à cette heure… Cela dépendra de la capacité à gérer l’amont, c’est à dire l’augmentation du nombre de patients critiques, et l’aval, avec la question de l’augmentation du nombre d’évacuations sanitaires vers La Réunion.
De manière plus générale, cela dépendra évidement de la cinétique de croissance des nouveaux cas sur le territoire.
Le J.D.M : Dans quelle mesure peut-on comparer la situation actuelle avec celle que nous avons traversée lors de la première vague ?
N. O. : La cinétique est aujourd’hui beaucoup plus rapide. Par ailleurs, la typologie de patients est différente dans la mesure où ils sont plus nombreux, mais peut-être en proportion moins requérants de soins critiques. Je reste cependant prudente sur cette analyse rapide car nous n’avons pas encore assez de recul.
Le J.D.M : Comment expliquer la vigueur de cette nouvelle vague épidémique ? Est-ce dû à la présence de variants du coronavirus ?
N. O. : Encore une fois, nous n’avons pas assez de recul pour se positionner de manière certaine sur le rôle du variant dans cette évolution. Nous le saurons en réalisant des études épidémiologiques a posteriori.
Le J.D.M : La présence de ces variants influe-t-elle sur les pratiques médicales et la gestion de crise ?
N. O. : Les variants sont effectivement là, principalement le variant sud-africain. De nôtre côté nous avons des patients avec un tableau clinique et c’est eux que nous soignons, pas le virus. On se concentre sur leurs symptômes et si, bien sûr, nous nous reposons sur les expériences d’autres territoires, ce n’est pas le variant en tant que tel qui définit une certaine prise en charge. Celle-ci ne tient globalement pas compte du variant.
Le J.D.M : Pouvait-on s’attendre à ce que l’épidémie flambe aussi rapidement ? Quels en sont les effets sur le corps médical ?
N. O. : Une crise ça se prépare. Il faut de l’anticipation, de la projection. Nous sommes plus ou moins préparés à gérer des crises parce que nous avons mis en place des plans, des procédures, des schémas d’organisation de manière à ne pas être dépassés. Après, on ne peut jamais prévoir les choses telles qu’elles vont se passer ou se passent, cela demande de l’adaptation. Mais « ne pas prévoir c’est déjà gémir », comme l’a dit Léonard de Vinci.
Cela n’enlève rien au fait que nous ayons tout de même été surpris par la cinétique, la croissance du nombre de cas. La tension est maximale sur tous les territoires, dans tous les hôpitaux mais à Mayotte nous savons que, puisque nous sommes sur une île, isolés donc, il nous faut faire front.
Force est cependant de constater que nous avons des renforts, c’est donc que la réalité de l’île est plutôt bien prise en considération. On va faire avec, on va souffrir un peu mais c’est ainsi.
Le J.D.M : On va « souffrir un peu » mais on va faire face ?
N. O. : Oui ! Il le faut. C’est compliqué mais en même temps on voit une telle solidarité et un tel dévouement de la part des professionnels qu’on ne peut pas baisser les bras. On va faire face.
Chaque jour la pression monte plus, il y a l’inconnue, la peur qu’elle embarque. Il y a ce virus, cet ennemi qu’on ne voit pas, que l’on a encore du mal à appréhender et qui inquiète toute la population, soignants comme non soignants. D’autant plus que de notre coté, tomber malade ça veut dire ne plus être opérationnel…
Le J.D.M : Quel regard portez-vous sur les comportements individuels et les mesures générales depuis le CHM et son afflux quotidien de patients ?
N. O. : Les gens veulent continuer à vivre, on peut le comprendre. Encore faut-il que cela s’accompagne des précautions nécessaires. Globalement je vois les gens porter leurs masques mais est-ce que les gestes barrières sont respectés au quotidien, dans la sphère privée ? Je ne le crois pas parce qu’on voit bien que c’est dans ce cadre que le gros des contaminations se fait.
Il y a clairement besoin de rappeler l’importance de ces gestes barrières et la nature du risque.
“Qu’on arrête les voulés, les mariages et les petites soirées entre amis… Protégez vos ainés, les personnes fragiles, pensez à eux.”
Au niveau général, les services de l’État sont vraiment mobilisés. Et je crois que cela porte ses fruits. À Bouéni par exemple, le nombre de cas est en diminution depuis le confinement de la commune. Il faut que les gens acceptent qu’il y aura d’autres mesures mais que c’est dans leur intérêt. Je le leur dis : respectez les mesures barrières, les consignes de sécurité. Si vous souhaitez davantage d’informations, le site de Santé publique France est très bien fait. Qu’on arrête les voulés, les mariages et les petites soirées entre amis… Protégez vos ainés, les personnes fragiles, pensez à eux.
Le J.D.M : Va-t-on rester longtemps dans cette croissance épidémique ?
N. O. : La croissance va se poursuivre, les modélisations le montrent. Difficile de se prononcer sur l’avenir mais je pense que nous sommes au moins sur un mois d’évolution aigüe avant de peut-être, à l’aide de nouvelles mesures, commencer à décroître.
Le J.D.M : Vous avez vécu le pire de la première vague dans le Grand-Est, quels éléments retrouve-t-on ici pour la deuxième vague ?
N. O. : L’aspect insulaire de Mayotte change beaucoup de choses… Le Grand-Est est frontalier avec trois pays européens, ce qui pouvait nous permettre d’envisager l’évolution un peu plus sereinement qu’ici. La tension n’était pas non plus à son comble sur l’ensemble du territoire, ce qui nous permettait d’envisager un rééquilibrage. Aujourd’hui, la tension est à son comble partout.
Et ici, nous avons un seul partenaire sur lequel nous reposer, le CHU de La Réunion qui commence à être sous tension.
C’est donc très différent à Mayotte, cet isolement demande plus de préparation, d’anticipation car on sait que les ressources ne viendront pas facilement.
Le J.D.M : Où en est-on de l’idée de soigner des patients hors les murs du CHM, en réquisitionnant des gymnases par exemple.
N. O. : C’est encore au stade de la réflexion, ça fait partie de nos options. Pour l’instant, nous allons d’abord utiliser toutes nos ressources dans les murs de l’hôpital car c’est plus simple pour prendre en charge un patient. Sortir des murs implique d’immenses contraintes logistique, que ce soit dans le médical que dans le support quotidien comme les repas.
Propos recueillis par Grégoire Mérot
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