On comprend mieux l’inflation dans le caddie des ménages en juillet et août. Parmi les produits qui ont vu leur prix grimper le mois dernier, les viandes et volailles et les œufs se challengent les premières places, avec respectivement +1,6% et +0,7% de hausse. Notamment en cause, l’augmentation de l’alimentation des animaux. « Nous sommes passés de 396 euros la tonne à 486 euros, prés de 100 euros de hausse ! », se lamente Ali Ambody, producteur d’œufs. C’est un habitué des problématiques agricoles, qui interpelle régulièrement sur les insuffisance du secteur agricole à Mayotte. Il était jusqu’à il y a deux ans, à la tête de la coopérative COMAVI, ciblée sur les aviculteurs. Lui et plusieurs éleveurs de l’île ont décidé de monter un syndicat le SEM 976, « nous sommes déjà une cinquantaine, et l’objectif est de grossir encore. »
Face à une flambée des prix de la provende (nourriture animale) de plus de 20%, ils ont tiré la sonnette d’alarme à la DAAF (Direction de l’Agriculture). Qui a provoqué une réunion le 25 août dernier, en présence de l’unique ‘provendier’ Ekwali, d’un représentant de la chambre, de la conseillère départementale de Bandrélé, et du syndicat SEM 976. Selon Ali Ambody, aucune décision n’a été prise à l’issue. « A La Réunion, s’est posé le même problème, et l’Etat a pris en charge la hausse », nous explique-t-il, article des Echos à l’appui.
« Des prix historiquement hauts »
En réalité, chez ses collègues de l’île Bourbon, c’est la structuration très avancée de la filière permet d’amortir le choc, et non une participation de l’Etat. Réunis en interprofessions, producteurs, provendiers, transformateurs, distributeurs et importateurs, se procurent une meilleure coordination et une verticalité dont chaque maillon amortit un peu de la charge. Guillaume Rubin, directeur d’Ekwali, provendier de Mayotte, détaille le mécanisme : « A La Réunion, le modèle coopératif d’URCOOPA qui fabrique l’alimentation de bétail, leur permet de travailler avec une caisse de péréquation : quand les prix sont bas, ils encaissent, et quand ils montent, ils décaissent. Ça permet de lisser un peu. Mais cette fois, la hausse est tellement importante, qu’ils sont au même niveau que nous. »
En cause, la hausse des matières premières, « surtout les céréales, mais là, nous connaissons une accalmie qui va se poursuivre sur les mois à venir. Ce qui pose problème, ce sont les taux de fret qui s’envolent », comme nous l’avions craint face à la spéculation mondiale sur les containers… « Du coup, les prix qui étaient historiquement bas l’année dernière, sont cette année historiquement hauts, ils ont quasiment pris 100 euros. Nous avons personnellement rogné sur nos marges, mais la hausse est trop importante. » Les aides à l’importation de l’Europe l’aident à tenir le coup. Il évoque une filière réunionnaise qu’il connaît bien, « leur constitution en syndicat interprofessionnel leur permet de définir quelle valeur ajoutée dégage chaque acteur, et de se répartir le charge tout en continuant à gagner de l’argent sans trop impacter le client. »
Ne pas mettre tous les œufs dans le même panier
Quant aux répercussions sur le panier de la ménagère, il est inévitable selon lui, mais pas dans des proportions exagérées, « les producteurs d’œufs vont forcément répercuter, mais il s’agit de 40 centimes de plus sur une plaquette de 30 œufs. »
Il reste donc une issue pour les éleveurs de Mayotte : tendre vers le modèle réunionnais, pour absorber les chocs sur l’ensemble de la filière, d’amont en aval, et imposer une péréquation sur les prix.
De son côté, le producteur de nourriture animale qu’est Ekwali est étroitement surveillé, car il va devoir répercuter à la baisse des coûts de transports qui finiront bien par s’infléchir : « C’est une obligation pour nous. Nous avons des aides de l’Europe sur les importations des matières premières, nous devons répercuter les prix à la baisse, notre comptabilité est examinée de prés ». Avec rigueur ? « Oui, nous sommes contrôlés sur des semaines entières par trois organismes alternativement, l’Odeadom, l’Union européenne ou les Douanes ». Ce que nous confirme Bastien Chalau-Giraud, directeur adjoint de la Direction de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt (DAAF) : « Les aides POSEI de l’Europe, sont intégralement répercutées dans le prix de vente, le provendier ne fait pas de marge la dessus, c’est très contrôlé ».
Outre les prix, ce qui inquiète les éleveurs, ce sont les possibles ruptures d’approvisionnement. Sur ce sujet aussi, la DAAF veille, nous indique son directeur : « Au regard de la flambée des prix des containers, Mayotte n’est pas dans les priorités de circuit de l’approvisionnement maritime. La durée d’arrivée d’un container, c’est 4 mois en moyenne. La préfecture nous a donc demandé de mettre en place un suivi des stocks, pas seulement sur la nourriture animale, mais sur certains aliments de la vie courante pour essayer d’anticiper d’éventuelles pénuries. »
C’est une condition sine qua non de structuration des filières, « nous avons en perspectives les développements de production de la volaille et des œufs, il faut donc sécuriser la commercialisation mais aussi l’approvisionnement. » Et difficile d’y arriver par cette mauvaise météo des prix du trafic maritime.
La visibilité n’est pas grande sur la fin de la flambée mondiale des tarifs de transport maritime, la compagnie maritime CMA CGM nous avait indiqué qu’il faudrait patienter « au moins jusqu’au Nouvel An chinois ». Qu’on pourra célébrer avec une omelette au tofu…
Anne Perzo-Lafond
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