Un « S » un peu moins rond que nature, et une vitesse d’écriture moindre… L’étude graphologique fait son apparition dans la saga du port. Avec de graves conséquences pour son auteur s’il s’agit réellement d’un faux.
Lors d’une rencontre avec la présidence du département en avril 2021, les représentants de l’Union Maritime de Mayotte (UMM) emmenés par leur président Norbert Martinez, avaient fait remonter leurs doléances concernant la gestion du port par Ida Nel, en qualifiant notamment d’illégal un arrêté de tarification portuaire. C’est lui qui fixe entre autre les locations d’emplacement des locaux (AOT). Plus qu’illégal, il pourrait s’agir d’un faux en écriture, dénoncent-ils désormais.
La fixation des prix pratiqués au port de Longoni fait l’objet depuis plusieurs années de tergiversation du conseil départemental, en charge de la gestion du port, qu’il a déléguée à Ida Nel, présidente de MCG (Mayotte Channel Gateway). Ils ont été à plusieurs reprises dénoncés comme exorbitants. Et ont d’ailleurs été annulés par décision du conseil d’Etat en 2020.
Un arrêté qui survole le contrôle de légalité
La présidente de MCG a-t-elle voulu passer en force en brandissant en 2021 un arrêté fantôme datant du 28 avril 2016 ? Il apparait en tout cas signé par le président Soibahadine Ramadani. Vu la sensibilité du sujet, les professionnels du port s’étonnent alors de ne pas avoir entendu parler de ce texte qui semble sorti du chapeau. Ils s’en émeuvent à deux reprises auprès de l’ancien président du CD, en janvier et en avril 2021. Sans réponse. Nous l’avions contacté à ce moment là, « je signe tellement de documents que j’ai demandé à mes services d’authentifier cet arrêté », nous avait-il répondu. Depuis, silence radio. Et un nouveau président a été appelé à régner.
Sollicitée pour son contrôle de légalité, la préfecture répond ne pas avoir eu trace d’un tel acte, « après recherche auprès des services de la préfecture, il apparaît que cet arrêté présenté par Ida Nel, n’a pas été transmis au contrôle de légalité et n’a pas fait l’objet de publication au recueil des actes administratifs », signe ainsi Jean-François Colombet le 17 février 2021 (LIRE Réponse du préfet arrêté du 28 avril 2016 ). De quoi alimenter les doutes des membres de l’UMM, et leur correspondance auprès du procureur de la République, en « dénonçant » alors l’arrêté, appuyé par des dépôts de plainte de plusieurs usagers du port, pour « faux et usage de faux ». Le parquet saisit alors la section de recherche de Pamandzi en mai 2021.
Le texte n’a étonnamment par été produit par Ida Nel lors du procès perdu auprès du conseil d’Etat et n’a jamais été publié par le CD. Il comprend en outre plusieurs fautes de frappe et de formulation.
Un « doute important »
De son côté, pressé d’agir par les professionnels du port, et notant que « le Département a des doutes sur l’exactitude de la signature de l’ancien président du conseil départemental », le nouveau président Ben Issa Ousseni, transmet le document litigieux à une graphologue pour expertise. Qui vient de rendre son rapport. La signature étudiée, étiquetée Q1b, a été comparée à plusieurs autres documents signés par l’ancien président. « Nous avons un doute important sur l’auteur de cette signature contestée (…) A priori, ce n’est pas monsieur Soibahadine Ibrahim Ramadani qui a fait cette signature litigieuse (…) », que la graphologue Aline Ramassamy, basée à La Réunion, qualifie « d’imitation pas assez réussie », et pousse plus loin, « vu la présence du tampon, nous nous rendons compte que le vrai auteur de cette signature a accès à vos bureaux pour y prendre le tampon ».
En reprenant le déroulé de la production de cet arrêté, les services du conseil départemental rapportent avoir eu en main un arrêté similaire, mais non signé, déposé ensuite par le directeur d’Ida Nel, dans sa version actuelle et signé.
Si la graphologie n’est pas une science mais une technique d’étude de l’écriture, son avis apporte un pierre supplémentaire à un faisceau d’indices, concordant à suspecter un faux et usage de faux en écriture publique, et dans le cadre de l’exercice d’un service public.
Difficile de savoir quelles suites compte donner le président du département, nous ne sommes pas parvenus à le joindre au téléphone. Article 40* ou plainte pour déclencher une enquête et en avoir le cœur net ? On ne sait pas si une action en justice a été intentée.
Nous avons également contacté Ida Nel qui renvoie la balle au conseil départemental et implique son entourage, “cet arrêté ne peut pas être litigieux, puisqu’il a été reconnu par leur administration et en présence de mon directeur !”. Reconnu, mais pas sous sa forme actuelle et non signé, donc non publié.
Les épisodes se suivent et se corsent au port de Longoni puisque le faux commis dans une écriture publique est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende.
Anne Perzo-Lafond
* Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République
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