Au XVIIIe siècle, l’économiste Quesnay a eu une expression des plus adaptées pour mettre en exergue l’idée que vouloir réfléchir aux ressources publiques c’est avant tout réfléchir à la richesse du pays : « Pauvres paysans, pauvre royaume ; pauvre royaume, pauvre roi ». Cette réflexion vise à intégrer non seulement la production mais également les finances publiques. La fiscalité y entre pour une part non négligeable comme en témoigne l’actuelle campagne de déclaration des revenus en 2022 à Mayotte. La population a jusqu’au 8 juin pour effectuer la déclaration par internet et jusqu’au 19 mai pour celle papier.
Il n’y a pas de vision globale sur l’avancement de l’adressage
La fiscalité a un lien indéfectible avec l’adressage. L’absence d’adresse postale revêt une importance capitale pour un territoire puisque elle permet à la collectivité de le mailler. Or sur le département, selon le Directeur général des services de l’Association des maires de Mayotte Mohamed Moindjié, « Il y a des gens qui travaillent mais les services ne sont pas en mesure de récolter l’impôt car on ne sait pas où ils habitent ». Il est cependant difficile d’y voir clair sur l’état d’avancement global du processus, « il n’y a pas d’information centralisée, ce sont les communes qui s’en occupent ». Le Conseil économique social et environnemental de Mayotte a néanmoins évalué que l’adressage “est régularisé à hauteur de 80% sur le territoire” dans son avis du 8 avril dernier.
Du côté de La Poste, même constat, ce sont les communes qui s’occupent individuellement de leur cas. « Ce n’est pas à la Poste de communiquer puisqu’elle n’est que prestataire. Ce sont les communes qui délibèrent sur les numéros de maisons, ce sont les communes qui posent les plaques », s’est exprimée la directrice de communication. Toutefois, La Poste ne souhaite pas communiquer en invoquant la période de réserve électorale propre aux fonctionnaires.
Comme l’a souligné Mohamed Moindjié, « mieux on saura qui habite où, mieux on pourra élargir l’assiette de l’impôt ». L’avancement et la finalisation du processus d’adressage est donc une gageure dans la mesure où « on a un système économique qui est biaisé par le niveau élevé de précarité, par l’immigration clandestine et par la forte proportion de jeune dans la société mahoraise qui ne sont pas solvable. Si en plus il y a de l’économie informelle qui n’est pas déclarée et que l’on ne sait pas où habite les gens, c’est une problématique car cela enlève des ressources ».
Une situation qui pénalise le développement des communes
La conséquence directe n’est pas anodine, ni pour les administrés ni pour les collectivités. L’assiette fiscale est de facto réduite à Mayotte. Une commune vit en effet des dotations de l’Etat, avec la dotation globale de financement, et des impôts locaux comme la taxe foncière. Afin accroitre les recettes les marges de manœuvres sont limitées : soit on réduit les dépenses, soit on augmente les impôts. Selon Mohamed Moindjié, « les dépenses les plus importantes concernent la masse salariale. C’est compliqué dans les collectivités qui se construisent à Mayotte de la réduire d’autant qu’il faut renforcer les catégories A sur le territoire. Si on augmente les recettes, c’est par les impôts en relevant les taux ».
C’est là que le bât blesse car cela engendre « un effet de citron pressée si on n’augmente pas l’assiette d’imposition car ce sont toujours les mêmes qui vont payer pour les autres. Si les contribuables solvables ne sont pas en nombre suffisant cela devient très compliqué pour une collectivité de s’en sortir dans un contexte où il y a beaucoup de précarité ».
Le développement de l’île en matière de politiques d’investissements ou de politiques sociales se retrouve entravé par l’absence de rentrée suffisante de ressources pour les financer. Sans oublier que l’adressage est également susceptible de faciliter le recensement de la population. Un meilleur recensement c’est une meilleure cartographie des besoins en matière d’infrastructures publiques ainsi qu’une incidence sur la dotation globale de financement allouée par l’Etat aux collectivités. Un constat qui va de pair avec l’analyse de Mohamed Moindjié, « la question de l’adressage est un enjeu majeur à Mayotte même s’il faut que l’Etat revoie les dotations à la hausse ».
Pierre Mouysset
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