Effet pervers de l’entrée de Mayotte dans le droit commun : les Mahorais doivent obtenir des titres de propriété pour garder leurs terrains. Une régularisation foncière complexe au niveau administratif et douloureuse sur le plan humain, qu’explique Myryem de Lagarde dans son documentaire “Terrains”.
“On a mal au coeur parce que c’est la sueur de notre front qui s’évapore”, gémit avec lassitude une bouéni dont le terrain a été diminué. “Ils se foutent de notre gueule et vous restez là à les regarder”, réagit avec virulence une autre femme, en conflit avec son voisin. “Terrains”, le documentaire de Myryem de Lagarde, projeté vendredi 13 décembre à la MJC de M’tsapéré, recueille les témoignages des Mahorais confrontés à la machinerie kafkaïenne de l’Etat, qui les exhorte à obtenir des titres de propriété pour faire valoir leurs droits sur leurs propres terres. Et à Mayotte, le lien à la terre n’est pas anodin : quand un enfant est mis au monde, le cordon ombilical est enterré sur la terre de ses parents, de ses ancêtres. On l’attache à la terre.
La caméra suit le géomètre-topographe chargé d’établir un bornage des terres de Mayotte. Engueulades, déchirements, compromis, résignation, le géomètre-topographe joue aussi un rôle de médiateur. C’est qu’il n’est pas si simple de circonscrire des terrains sur l’île Hippocampe. Pour délimiter les frontières terriennes, la plupart des Mahorais considèrent les arbres fruitiers : “Ce bananier est à moi, celui-là, non”.
20 % des dossiers traités
Le statut juridique des cinquante pas géométriques* entre aussi désormais en compte et des parcelles de terrains, situées sur le littoral, sont ainsi retirées sans autre forme de procès à des primo-occupants. La question des réserves forestières, également, pose problème. Et quand le propriétaire du terrain est décédé, comment établir le titre de propriété ? Et cette mère, soucieuse de la tradition matrilinéaire, qui ne veut céder sa terre qu’à sa fille, pas à ses fils…
Un écheveau d’enjeux qui freine le processus de régularisation foncière : aujourd’hui, 20% seulement des 15 000 dossiers ont été traités. Et, évidemment, se pose surtout la question pécuniaire du rachat des terres et de la fiscalité inhérente au droit commun qui risque d’obérer le budget des familles mahoraises désormais officiellement propriétaires de leurs terres.
Une nouvelle distribution des cartes, au sens littéral du terme, qui affecte profondément la population mahoraise.
Ornella Lamberti
Prochaine diffusion du documentaire en janvier 2014 sur France Ô (date encore indéterminée)
* Zone des cinquante pas géométriques : les parcelles de terrain situées sur le littoral des DOM jusqu’à 81,20 mètres des côtes appartiennent à l’Etat.
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