Certains pourraient y voir une mesure pragmatique face à la crise du système de santé. Les médecins de Mayotte, eux, n’en ont pas cru leurs yeux. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la protection de l’enfance à Mayotte, publié en fin de semaine dernière, contient des propositions pour le moins détonantes. «Ce rapport nous est tombé dessus comme un coup de massue», explique Anne-Marie de Montera, du Conseil de l’ordre des médecins de Mayotte qui s’exprime à titre personnel. «C’est assez surprenant comme réponse à la crise. On nous avait promis un développement de l’offre de soins et non une discrimination pour une population qui n’a plus le droit d’avoir les mêmes soins que le reste du territoire français».
Pour tenter de répondre à l’asphyxie actuelle du système de santé en lien avec l’enfance, l’Igas préconise un «assouplissement des normes sanitaires et sociales». Par exemple, le document propose d’«aménager le cadre législatif et règlementaire permettant, à titre dérogatoire, aux infirmiers exerçant leur profession à Mayotte de pratiquer de manière autonome certains actes médicaux et de prescrire, le cas échéant, des médicaments».
«On a l’impression qu’on revient 10 ans en arrière. Il y a 10 ans, nous avions à Mayotte un système de santé dans lequel l’exercice illégal de la médecine n’existait pas. Les infirmiers avaient par exemple le droit de prescrire pour des pathologies spécifiques. Mais après 10 ans de départementalisation, en revenir à ce type de solutions, ça me paraît énorme».
Exercice illégal
Pour bien comprendre le caractère très iconoclaste de la proposition, il faut savoir que de tout temps, la pratique de la médecine et de la pharmacie ont été très encadrés en France. Les actes et les rôles des différents professionnels médicaux et paramédicaux qui interviennent auprès des patients (Médecins, pharmaciens, infirmiers, aides-soignants…) sont très précisément établis et répondent à des cursus de formation très différents. Et tous ceux qui s’essaieraient à sortir du cadre sont susceptibles d’être poursuivis pour «exercice illégal» de la médecine ou de la pharmacie et la loi est très sévère. Elle punit de tels comportements de peines pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison et 30.000 euros d’amende.
Selon l’inspection générale des affaires sociales, ce qui est valable partout ailleurs en France depuis des siècles devrait donc être aménagé pour Mayotte.
L’autorité des médecins en question
Officiellement, les infirmiers n’ont jamais demandé une telle mesure. Pourtant, certaines infirmières ne s’offusquent pas de la proposition de réaliser des actes médicaux. «Dans les faits, nous sommes déjà tous amenés à réaliser des actes qui dépassent la définition stricte de nos missions. Le système est tellement submergé que ça ne pourrait pas fonctionner autrement», explique l’une d’elles qui souhaite garder l’anonymat. «On pourrait même voir cette proposition comme une tentative de faire rentrer dans un cadre légal ce qui se pratique souvent déjà mais de façon informelle».
Anne-Marie de Montera n’est pas d’accord. «C’est vrai que tout le monde est débordé mais les infirmiers exercent tout de même sous l’autorité des médecins. Nous avons de très bons infirmiers et de très bons infirmiers spécialisés. Nous travaillons en équipes pluridisciplinaires avec un médecin qui délègue des missions et des soins. Mais c’est lui qui signe les prescriptions, c’est lui qui décide qui est apte à l’aider dans sa tâche».
Une réponse pour Mayotte
Anne-Marie de Montera insistera à plusieurs reprise au cours de l’entretien sur le fait que sa réaction n’est pas tournée contre les infirmiers mais bien contre une remise en question du rôle des médecins, parlant d’une «humiliation».
«On ne cesse de demander une augmentation de la capacité en lits -nous en avons 350 ce qui est dérisoire au regard de la population- et de la capacité en soins et on nous répond que finalement, médecins et infirmiers, c’est pareil… Vous croyez que c’est une réponse qu’on aurait fait en Ile-de-France? Qu’est-ce que ça veut dire? On se plaint de n’être que 200 médecins mais nous nous sommes peut-être trompés. On est peut-être 200 médecins de trop!»
Des expérimentations
Pour autant, les médecins ne seraient pas contre certaines évolutions destinées à faire fonctionner un système de santé embolisé. «Nous ne sommes pas contre des formes d’expérimentation mais dans des domaines précis, par exemple sur les pathologies visuelles où des actions peuvent être menées pour l’équipement en lunettes, mais toujours encadrées par des médecins. Là, avec ce rapport, on ouvre la possibilité de l’exercice sans rien préciser. Pour quelle pathologies, pour quels types de soins?… Ca mérite une réflexion sûrement plus importante qu’une simple phrase de trois lignes».
Face à ce sentiment de déclassement, certains font d’ores-et-déjà le parallèle avec les contractuels qui comblent le vide laissé par le manque de professeurs «de métier» dans l’Education nationale, une sorte «d’abaissement des exigences professionnelles» qui viendraient s’appliquer au système de santé.
Nul doute que l’ordre des médecins, à Mayotte comme au national, ne tardera pas à s’exprimer officiellement.
RR
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