C’est un rapport accablant de 42 pages dont 5 qui détruisent les argumentaires anti-Mayotte développés par la direction du centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion.
Sous la pression des médecins, la direction du CHU et l’Agence régionale de santé (ARS) ont fini par communiquer ce rapport rédigé par les enquêteurs de l’Inspection général des affaires sociales (IGAS) en octobre 2016. Il porte sur la situation financière du CHU et à sa lecture, on comprend pourquoi il avait été gardé secret.
Selon ce document, de 2012 à 2016, la direction du CHU a conduit une politique directement responsable de la crise actuelle: un déficit attendu de plus de 25 millions d’euros en 2016, 250 suppressions de postes d’ici à 2021 et une réorganisation aussi brutale que rapide à mener pour éviter la sortie de route.
Et l’IGAS s’attache en particulier à rétablir la vérité concernant le poids que représente Mayotte pour le CHU. «L’établissement fait état avec constance d’un lien direct entre la dégradation de sa situation financière et son activité de recours pour les patients de l’océan Indien, en particulier de Mayotte. (…) La mission a pu vérifier qu’un argumentaire construit autour de ces questions était largement diffusé au sein et en dehors de l’établissement». Et pourtant, si Mayotte est une «charge est réelle», elle «n’explique pas la dégradation des comptes».
Mayotte rapporte de l’argent au CHU
L’IGAS affirme que non seulement Mayotte n’est pas responsable des déficits du CHU, mais qu’au contraire, les malades de notre île lui ont fait gagner beaucoup d’argent. Selon le rapport, les patients originaires de Mayotte et couverts par la sécu ou l’AME (aide médicale d’Etat) lui ont rapporté jusqu’au 31 décembre 2015, pas moins de 15 millions d’euros de recettes!
Ces patients représentaient 1% des séjours en hospitalisation mais 3% de l’ensemble des sommes perçues sur l’assurance maladie, en particulier grâce à un tarif de prestation «avantageux pour le CHU».
En clair, un patient mahorais à La Réunion rapportait 29.300 euros pour un séjour chirurgical et 14.900 euros lors d’un séjour médical alors qu’il ne coûtait que 4.423€ au CHU.
Certes, depuis le 1er janviers 2015, les mêmes séjours sont tarifés différemment, ce qui a fait perdre 6M€ d’euros de recettes à l’établissement. Mais cela signifie que le CHU dégageait encore sur les patients originaires de Mayotte, un bénéfice de 6M€ en 2015. Grâce aux patients mahorais, le déficit du CHU n’a donc pas été de 26M€ mais de 20M€.
Depuis 2016, cette tarification est entrée dans le droit commun.
Le CHU refuse d’envoyer des sages-femmes
De même, «l’intervention du CHU en appui à Mayotte est réelle, mais modeste», en particulier dans les moyens humains déployés: Les enquêteurs ont compté 6 postes équivalents temps plein que le CHU consacre sur place à Mayotte… Ce qui ne semble pas exorbitant.
Et le CHU se garde bien de dire que, parfois, il ne répond pas aux demandes d’aide pourtant vitales de Mayotte. Par exemple, le rapport nous apprend qu’«une demande d’envoi de sages-femmes en urgence à Mayotte au premier semestre 2016, pour faire face à une grave crise sanitaire, s’est heurtée à un refus de la direction du CHU, alors que des établissements privés de moindre importance ont dégagé des moyens.» Cela se passe de commentaire.
Aider les familles
Et ce n’est pas fini. Quand le CHU affirme qu’il est confronté à des millions d’euros de créances irrécouvrables (8,8M€) de la part de patients originaires de Mayotte, l’IGAS répond que le risque est largement couvert par les provisions financières.
Enfin, le rapport s’attaque à un sentiment largement répandu au sein de la communauté hospitalière réunionnaise, d’une «saturation des services par des patients mahorais». Une nouvelle fois, le rapport démonte l’argument en s’appuyant sur l’exemple de l’année 2015.
Cette année-là, le CHU a accueilli 668 patients mahorais pour 1.177 séjours et séances. Si la durée moyenne de séjour de ces patients est plus longue que celle des autres, cela tient au fait qu’un séjour adulte sur 6 et un séjour enfant sur 5 est excessivement long «pour une raison non médicale».
Pour l’IGAS, «des mesures de bon sens sont nécessaires pour accompagner les familles» et faire en sorte qu’elles ne soient pas bloquées à l’hôpital: La mise à disposition de logements du parc hospitalier contre un loyer modeste représenteraient ainsi un «gain qualitatif pour les patients et une économie substantielle pour les finances publiques en réduisant la durée de séjours hospitaliers inutiles», explique le document.
Les missions d’un CHU dans l’océan Indien
Au-delà, l’IGAS rappelle tout de même que « le soutien médical dans la zone de l’océan Indien et le recours pour les patients de la zone font intrinsèquement partie des missions d’un CHU créé notamment pour faire face aux engagements de la France dans l’océan Indien». Il semblait en effet important de le rappeler.
En réalité, le CHU charge Mayotte car il est incapable de voir ses propres errances. «La mission a très vite constaté une forme de déni de la réalité de l’établissement de la part de ses responsables qui invoquent systématiquement, pour expliquer la situation de l’établissement et son déficit de 20M€, des causes extérieures présentées comme spécifiques et indues» comme les charges liées à Mayotte, explique le rapport.
Une spirale déficitaire
Directement visés mais jamais nommés, l’ancien directeur du CHU David Gruson et l’ancienne directrice de l’ARS, Chantal de Singly, mais aussi l’actuel directeur du CHU, Lionel Calenge, qui a participé à cette gestion en tant que directeur général adjoint.
L’IGAS les renvoie à leur responsabilité dans la «spirale déficitaire» liée à l’augmentation massive des dépenses de personnel et à des opérations immobilières dont les coûts ne sont pas maîtrisés: le bâtiment des Soins critiques à Saint-Denis, budgété 55 M d’euros, en coûtera finalement 70. Le bâtiment central à Saint-Pierre, prévu pour 89M€, en coûtera 108.
Dans les deux cas, les inspecteurs dénoncent «des projets datés dans leur conception et sans réflexion médicale»… Et promis, Mayotte n’y est pour rien. Enfin, quand même un peu. Elle a laissé l’ARS mettre des millions dans des projets inadéquats à La Réunion alors qu’elle a tant besoin d’investissements.
RR
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