A mi-chemin entre création artistique et ethnographie, la «boite à débaa» a marqué les esprits à Mayotte. En 2015, ce cube était l’événement des Journées européennes du patrimoine. Véritable labyrinthe de voilages sur lesquels étaient projetés les danses et les chants des femmes mahoraises, il invitait les visiteurs à se laisser envelopper et à pénétrer «au cœur du débaa».
Cette installation, réalisée par Elena Bertuzzi et Laure Chatrefou, avait fait la fierté des femmes de Mayotte, séduites par cette mise en situation inédite de leur art. Et cette fierté semble d’autant plus justifiée que la «boite à débaa» vient d’obtenir le prestigieux Grand Prix «Arte Laguna 2017» du Pavillon de l’Arsenal de Venise, un concours international qui réunit des artistes du monde entier. «Nous étions 25 à être retenus dans la catégorie ‘Installation’ sur 250 propositions. Et j’étais inquiète», confie Elena Bertuzzi, car la création n’est pas seulement une œuvre d’art. «Bien entendu il y a le côté artistique, mais il y a aussi une dimension ethnographique. C’est une réalisation qui souhaite faire passer des connaissances».
A Mamoudzou, les deux créatrices avaient remarqué que ceux qui rentraient dans le cube en ressortaient dans un état différent. «On voulait absolument le remonter ailleurs, pour voir si les gens, à travers le corps, les yeux, les voix, pouvaient se rapprocher d’une culture qu’ils ne connaissent pas», précise Elena Bertuzzi. «Et ça a marché.»
L’enthousiasme a été général et le Prix attribué sans difficulté par un jury conquis. Au moment de motiver sa décision, les jurés ont même expliqué aux artistes qu’ils avaient été «éblouis» par l’œuvre. «C’était quelque chose qui sortait du cœur, c’était très émouvant», reconnait Elena Bertuzzi.
L’invitation aux voyages
Le Prix Arte Laguna est une compétition internationale qui vise à promouvoir l’ art contemporain avec différentes catégories: peinture, sculpture et installation, art photographique, art vidéo, performance, art virtuel… etc.
Avec cette reconnaissance de tout premier ordre, le labyrinthe qui propose de voyager «au cœur du débaa» pourrait commencer, lui aussi, une longue et belle carrière faite de nombreux voyages. Déjà, l’Institut du Monde arabe à Paris a demandé aux artistes de transposer l’œuvre à l’occasion des 30 ans de l’institution. Le vernissage de la grande exposition d’anniversaire «de Tombouctou à Zanzibar» est prévu ce jeudi 13 avril… «De Tombouctou à Mamoudzou» aurait été plus juste. «Ils ont probablement nommé l’exposition avant de découvrir notre travail», plaisante Elena Bertuzzi.
Le ministère des Outre-mer (MOM) et l’UNESCO suivent également ce travail de près, séduits par cette façon originale de proposer une expérience du corps et de permettre au public de s’imprégner d’une danse. Le cube pourrait servir d’exemple à d’autres expériences artistiques.
Le retour à Mayotte
Les deux artistes souhaiteraient à présent revenir à Mayotte. «Nous avons tourné un film sur le débaa pendant nos travaux, très scénarisé. Peut-être que l’on pourrait venir faire le montage du documentaire à Mayotte, pour retrouver une proximité avec les femmes et pour les traductions aussi».
Elena Bertuzzi et Laure Chatrefou espèrent également que la «boite à débaa» s’installe en 2018 à La Réunion, où un cycle de conférences et des événements en lien avec les femmes de la communauté mahoraise de l’île pourraient être organisés. 2018 pourrait être également l’année du retour du labyrinthe d’images à Mayotte, mais sous d’autres formes… Il ne fait effectivement que commencer son grand voyage.
RR
www.jdm2021.alter6.com
Comments are closed.