Les abords de la pharmacie du dispensaire de Jacaranda à Mamoudzou, étaient difficilement accessibles ce vendredi matin à 9 heures. Il sont encore plus que d’habitude à se presser devant le guichet, et pour cause, les agents viennent d’exercer pendant une heure leur droit de retrait.
« Nous avons été verbalement agressés la semaine dernière, ça devient intenable », explique Guillaume Tchikaya, préparateur en pharmacie au plus gros dispensaire de l’île. Ils sont 5 préparateurs et 3 aides à avoir décidé de stopper le travail pour dénoncer leurs conditions de travail. « Nous devons gérer 20% de patients en plus chaque année », explique-t-il, saisissant un cahier écorné, rempli de chiffres, « la semaine dernière, nous avons reçu 327 personnes, celle d’avant, 420. »
Il explique que l’effectif ne suit pas, pire, il régresse, « nous sommes 3 préparateurs à œuvrer en permanence, quand il en faudrait 5. Les patients se sont énervés quand ils ont vu qu’on arrêtait de prendre les carnets avant l’heure. Mais quand ils remplissent les 5 bacs, on sait qu’on ne peut plus accueillir personne. »
Communiquer auprès des assurés sociaux
Il déplore que malgré les infrastructures construites par le Centre Hospitalier de Mayotte, les effectifs ne suivent pas, « on sait que le CHM a du mal à recruter étant donné l’image de Mayotte donnée notamment sur les sites d’’expats’, mais il faudrait au moins communiquer auprès des Mahorais qui sont assurés sociaux, pours qu’il se rendent en pharmacie privée, notamment ceux qui sont pris en charge à 100%pour pathologie grave. »
Car le dispensaire et sa pharmacie ne sont pas seulement fréquentés par des patients en situation irrégulière. S’y rendent aussi tous les assurés sociaux qui n’ont pas de mutuelle. « Une personne a attendu 5h pour une plaquette de Doliprane l’autre jour ! »
A ce mouvement fait écho celui entamé le mois dernier par les médecins urgentistes de l’hôpital, qui, au SAMU, au SMUR et pour les Evasan, dénoncent un fonctionnement qui est de nature à faire «courir des risques aux patients du fait du sous-effectif, et de (leur) épuisement».
Se recentrer sur Mayotte
Dans un communiqué envoyé ce vendredi, le syndicat Solidaires-SUD Santé Sociaux Mayotte apporte son soutien au combat des médecins urgentistes qui avaient publié le mois dernier une lettre ouverte (Lire lettre ouverte urgentiste mayotte 22 mars 2017), et appelle à se désolidariser de la politique régionale de santé. Il y voit un « frein à toute politique d’autonomie de gestion hospitalière par les acteurs sociaux » et un « schéma d’harmonisation régional qui consiste à faire des économies et diminue les besoins réels de l’hôpital. »
Le syndicat en appelle tout d’abord aux élus locaux sur l’axe de la gestion de la formation dont ils ont la charge, « la promotion d’orientation des métiers de la santé au niveau scolaire doit faire partie des urgences afin de rattraper le retard pour combler le déficit du personnel qualifié et des spécialistes. » Il est également fait mention des PMI, « il est inconcevable qu’ils soient privés de moyen de fonctionnement depuis plusieurs années et que les services de prévention de santé publique soit abandonné au dépend de l’hôpital public ».
Booster le personnel local
Face à la crise d’attractivité, il est dénoncé ensuite les méthodes de recrutement, qui accordent plus de place à une « garantie d’évacuation sanitaire en cas de crise grave », en plus de l’indemnité salariale, qu’à la mise en place de plateaux techniques ou d’encadrement des étudiants, comme c’est le cas dans les autres départements.
Les demandes du syndicat sont à mettre en corrélation avec la crise qui frappe depuis quelques semaines le CHU de La Réunion, et les vérités apportées par le rapport de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) : « La mise en place immédiate d’une Agence régionale de Santé à Mayotte indépendante de la gestion de l’Agence de santé de l’océan Indien basée à La Réunion, la séparation de l’hôpital de Mayotte du Groupement Hospitalier de Territoire », une direction locale de l’ensemble des organismes de gestion sanitaire et sociale régionaux, le maintien en poste des agents non-titulaires, « et un plan de titularisation des professionnels dès la fin de la période d’essai. »
Dans la même lignée, le syndicat retoque l’idée d’une université régionale, et invite l’Etat à assumer sa garantie d’offre de soin à tous les habitants en l’étendant à l’Aide médicale d’Etat (AME) et la Couverture maladie universelle.
Une santé pensée à partir des problématiques du territoire, pour « redéfinir un réel schéma d’orientation de la santé », et non de modèles calqués de l’extérieur, conclut-il.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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