Passé 50 ans, une femme présente plus de risque de développer le cancer du sein. C’est pourquoi elle bénéficie en France d’un dépistage gratuit. A Mayotte, ce n’est pas encore le cas. En cause, des enjeux financiers et sociétaux…
Il y a un an et demi, à la suite d’un décès du cancer du sein chez une patiente, le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) se dote d’un mammographe. Il est depuis disponible pour effectuer, sur prescription du médecin traitant, des radiographies du sein afin de détecter d’éventuelles anomalies, ou lorsque des antécédents familiaux le justifient.
Mais il est très peu utilisé, comme nous l’explique le docteur Kamel Messaoudi, directeur du cabinet de radiologie de Mamoudzou : « à Mayotte, le dépistage organisé de masse n’a pas été mis en place. Seules les patientes qui viennent à titre individuel utilisent cet appareil qui a couté 300.000 euros et qui est donc pour l’instant sous exploité».
Un constat qui, s’il parvient à évoluer, lui permettrait d’accroître sa clientèle, « mais c’est surtout la femme mahoraise qui doit bénéficier du même service qu’ailleurs, surtout depuis que nous sommes département !» La patiente qui bénéficie d’un dépistage organisé voit en effet sa radio décryptée par trois lecteurs successifs afin d’en affiner le diagnostic.
“Le cancer du sein touche une femme sur huit”
Etienne Morel, le directeur du CHM, se dit prêt à mettre son mammographe à disposition du cabinet Messaoudi, mais appelle à une organisation globale, « et à un accord avec l’ARS sur la redevance qui nous serait versée ». Redevance qui serait déboursée par le cabinet Messaoudi qui bénéficie de son côté du remboursement à l’acte par la Sécurité sociale.
Mais le contexte mahorais ne rend pas les choses faciles. D’abord, et pour en revenir à une organisation globale de l’offre de soins, “il n’y a pas sur l’île de service de cancérologie possédant un plateau technique” comme le souligne Sylvain Lerasle, médecin de Santé publique à l’Agence Régionale de Santé Océan Indien (ARS OI) : « ce qui signifie qu’un diagnostic d’une petite tumeur suspecte ne sera pas validé ou démenti rapidement. La patiente sera envoyée à La Réunion ou en métropole sur un laps de temps qui risque de l’alerter inutilement. Nous avons eu ce problème pour les cancers de l’utérus ».
L’absence d’un chirurgien cancérologue n’est pas forcément liée à la désertification médicale de l’île, mais au nombre de cas traités. Et c’est un peu le serpent qui se mord la queue car en l’absence de dépistage de masse, les malades ne sont pas connues, ce qui n’incite pas les médecins à venir exercer à Mayotte, « alors qu’en général, une femme sur 8 est atteinte d’un cancer du sein », relève Kamel Messaoudi.
Une possibilité est offerte par la signature il y a un mois d’une convention entre le CHM et le CHU de La Réunion pour déplacer les équipes à Mayotte. Mais attention à la surenchère, dit en substance l’ARS, « en cherchant à dépister à tout-va, on ne fait qu’inquiéter une population jusqu’alors indemne », alerte le docteur Lerasle qui parle d’un « coût social » à la suédoise.
Si l’ARS assure qu’une convention va être signée en janvier entre ses services, le CHM et le Conseil général, pour un dépistage organisé de masse, on sent quelques résistances. Elles viennent de la prise en charge des soins : « la Sécurité sociale est prête à s’engager sur le dépistage organisé si on le fait sur les personnes affiliées », lâche Sylvain Lerasle.
La prise en charge pour les personnes en situation irrégulière, donc non affiliées à la sécurité sociale, est en effet gratuite uniquement pour les femmes enceintes et les mineurs à Mayotte, « pour les autres, c’est du ressort de l’assistante sociale ».
C’est la difficulté du sujet tant il est difficile pour un médecin de ne pas soigner quelqu’un pour la seule raison de régularité de séjour. Sauf que la CSSM va y regarder de plus prés quand il s’agira d’envoyer un patient à La Réunion ou en métropole… d’où la frilosité au dépistage.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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