Le « bio » s’étale sur tous les rayons de supermarché en métropole. D’après les derniers chiffres du Baromètre Agence BIO/CSA, près de 9 consommateurs sur 10 déclarent avoir consommé au moins un produit issu de l’agriculture biologique au cours des douze derniers mois. Cela représente plus de 70 euros en produits alimentaires Bio par consommateur métropolitain en 2015. Les consommateurs ultra-marins ont consacré pour leur part moins de 20 euros par an par habitant en 2015 (Chiffre non connu pour Mayotte).
Au niveau local, les données viennent d’un état des lieux fait en 2013 et actualisé en 2017 à la demande de l’ODEADOM (Office agricole des DOM), mais aussi des conclusions d’une table ronde organisée par le Réseau Rural de Mayotte, le 5 octobre 2016 au lycée agricole de Coconi.
Les points de vente ont ici un petit rayon « bio », mais les prix prohibitifs, le poulet congelé bio à 40€/kg, n’incite pas à la consommation. D’autant, que la plupart des consommateurs assimile à Mayotte les produits locaux à des produits bio. A raison ? Oui pour les cultures vivrières. De type jardins mahorais, « 92% des 8.700 ha agricoles de l’île et les productions qui y poussent sont indemnes de pesticides voire d’engrais chimiques ». Tout comme les productions fruitières, la vanille ou l’ylang.
Parasites et poux
La situation est beaucoup plus sombre en matière de cultures maraichères, qui ne sont « pas exemptes de traitements chimiques, du fait de problèmes parasitaires multiples et difficiles à maitriser (mouche des cucurbitacées, papillon parasite de la tomate récemment introduit : Tuta absoluta, etc) ». Des solutions non chimiques existent, mais elles doivent prouver leur efficacité pour être massivement adoptées par les agriculteurs.
Idem pour les élevages de petits et gros ruminants, poules pondeuses et poulets de chair, « les problèmes récurrents de tiques, poux et autres parasites animaux obligent à des prophylaxies rendant difficiles un label AB, quoique certains s’y soient essayés (œufs bio par exemple). »
Pour la DAAF, les productions de banane, manioc, ambrevade, maïs, taro (pour les légumes) et de mangue, fruit à pain, pomme cannelle, litchi (pour les fruits), ainsi que les huiles essentielles d’ylang ou de vanille noire peuvent être qualifiés de « naturellement bio », « ce qui représente un potentiel de labellisation AB très important, si les pratiques restent telles qu’elles sont actuellement ».
Label AB sur la vanille mahoraise
Mais faire du bio comme l’entendent les technocrates, c’est compliqué et ça coute cher : « La démarche nécessite la tenue d’un registre de traçabilité et de respect des produits autorisés et des contrôles sur place. Elle est particulièrement coûteuse à Mayotte, du fait de l’absence d’organisme certificateur sur place : il faut faire appel à Certipaq à la Réunion ou à Ecocert à Madagascar. »
On apprend que ce label AB a déjà été décerné à Mayotte, « de 1987 à 1994, de la vanille bio a été labellisée à Mayotte par Ecocert et 80 adhérents d’une coopérative (sur 192) ont pu être certifiés, grâce à l’appui de 3 techniciens. Cela permettait un meilleur écoulement des produits, sans pour autant avoir un prix plus attractif. Mais la concurrence malgache et l’autorisation de la vanilline de synthèse ont sonné le glas de cette opération. »
Sur un tout petit marché comme Mayotte, le label bio ne devient utile qu’à l’exportation fait valoir la DAAF, puisque les consommateurs locaux ont confiance dans les produits comme la vanille ou l’ylang. Un essai a été fait en 2012 sur deux parcelles de 8ha de production d’ylang, sous l’impulsion du Département. « Il en coûtait 4 à 500 € par exploitation (hors frais de déplacement du certificateur) par an. »
Le bio, un Graal difficile à obtenir
Aujourd’hui, des projets sont en gestation à Mayotte, avec « la possibilité d’une filière export d’ananas AB proposé par un opérateur de la restauration collective, et quelques candidats jeunes agriculteurs souhaitent s’installer en bio. »
Pour réussir à mettre en place une ou des filières Bio à Mayotte, il faut 3 conditions : un cahier des charges que le producteur s’engage à respecter, un accompagnement technique qui aide le producteur à tenir une comptabilité matière et à consigner ses pratiques afin de prouver le respect des engagements lors des contrôles par l’organisme certificateur, et une valorisation de la démarche a travers une politique de communication. « Faute d’organisations professionnelles suffisamment matures, les conditions 2 et 3 sont actuellement difficiles à remplir à Mayotte. »
Des producteurs vertueux
Et pourtant ce label pourrait être le sauveur des productions de tomate, de concombre et de salade, souligne l’étude, qui « souffrent de lourds soupçons quant aux risques de contaminations par des pesticides ». D’ailleurs, le lycée agricole de Coconi et le réseau d’exploitations « Dephy fermes » (fermes engagées dans une démarche vertueuse) mettent au point et utilisent des méthodes alternatives aux traitements chimiques, dans le cadre en particulier du programme de R&D piloté par le CIRAD.
Et l’Europe y encourage puisque des aides financières inscrites au programme européen POSEI peuvent accompagner la démarche : une majoration « Produisons autrement » est accordée au demandeur qui adhère à une démarche de certification ou de qualification ou qui est membre d’un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE).
Au regard des circonstances atténuantes de ce petit territoire à la consommation alimentaire croissante, la quantité primant sur la qualité, les professionnels vont privilégier d’abord la mise en place d’une reconnaissance de bonnes pratiques en valorisant les producteurs respectueux de la réglementation et soucieux de l’environnement, grâce à une qualification des produits qui s’apparentera au label « agriculture raisonnée.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
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