Ingénieur sanitaire, Chargé de mission ARS OI, lors de la Journée sur la maladie d’Alzheimer, il avait mis en parallèle les évolutions de la vieillesse et des valeurs sociétales de l’île en essayant d’apporter des solutions pour éviter l’isolement des anciens.
Pour comprendre pourquoi les solutions métropolitaines pourraient déstabiliser les familles, il faut resituer la place des personnes âgées dans la société mahoraise. Une société « au peuplement à la fois africain et malgache, créole par l’histoire et l’économie coloniale, française par le cœur, européenne en tant que RUP, Musulmane par sa religion dominante et construite autour de la matrilocalité et de la matrilinéarité ».
La première signifiant que l’épouse reste dans le village ou le lieu de résidence de sa mère une fois mariée, rajoutée à la matrilinéarité qui assure le lignage par la mère, notamment l’héritage. C’est une forte particularité de la société mahoraise.
Autre caractéristique, la communauté prime sur l’individu ici, « l’identité et le statut d’une personne ne sont pas définis par son autonomie, son mérite ou sa réussite, mais son appartenance décisive à des groupes », souligne Mouhoutar Salim, qui rappelle également « le primat des valeurs spirituelles sur les règles matérielles, visible dans les rapports avec la religion, les esprits ou la mort. Ainsi, les qualités de cœur sont mieux jugées que les capacités physiques ou la puissance économiques. »
Il en découle un fonctionnement de la famille traditionnelle totalement différent de la métropole : « tous vivent dans le même enclos familial, ‘mraba’, elle est fortement hiérarchisée, sous l’autorité d’un seul chef. Il s’agit du père ou du grand-père pour la prise de décision, de la mère ou de la grand-mère pour l’organisation des activités du foyer familial. » Dans nos familles occidentales, lorsque, fait rare, les grands parents vivent au domicile de leurs enfants, ce sont ces derniers qui organisent la vie de la maison, de leurs propres parents et de leurs enfants.
« 6 mahorais sur 10 meurent avant 65 ans »
Contrairement aux termes habituellement usités, « coco et bacoco », font référence à la parentalité de la personne âgée, « grand-père et grand-mère ». C’est Muduhazi, qu’il faut plutôt utiliser pour parler de vieux ou vieille, « Waduhazi », au pluriel. La vieillesse se caractérise comme partout par la baisse des facultés physiques, intellectuelles ou sexuelles.
Et on ne fait pas de vieux os à Mayotte : « L’espérance de vie est de 74 ans mais 6 mahorais sur 10 décèdent avant leur 65ème anniversaire », rapporte l’ingénieur sanitaire. Les conditions sanitaires ne faisant que s’améliorer, l’espérance de vie doit s’allonger, et les jeunes de moins de 18 ans qui composent la moitié de la population, sont les personnes âgées de demain, promettant une population vieillissante d’ici 40 ans.
Mais Mayotte française c’est aussi l’adoption d’autres schémas, notamment par les jeunes qui partent étudier ou travailler dans l’Hexagone. Créant une double difficulté : « L’émergence d’un matérialisme, d’un individualisme, d’un consumérisme érigé en modèle de comportement », et « l’absence de prise en charge des personnes âgées par ces trentenaires partis en métropole. »
Oser explorer des solutions
Le repli de la structure familiale « qui tend à devenir de plus en plus nucléaire et non plus élargie », la « physionomie du mariage moins précise », installe un isolement des anciens.
Alors que la personne âgée était un ‘trésor’ (‘dafiné’) « compte tenu de son expérience dans le folklore, la culture, la religion et la tradition en général », à la fois « masseuse, conteuse, médiatrice », elle perd peu à peu cette place.
Mouhoutar Salim propose des pistes : « Créer des services de soins et de loisir, tout en évitant les pièges de l’imitation rampante des modèles occidentaux, notamment la transplantation des personnes âgées dans les maisons de retraite », dont peu se réjouissent en réalité 10.000 km plus haut… Promouvoir leur intégration dans le tissu associatif et la solidarité entre les générations, « à l’endroit même où les personnes âgées ont passé leur vie », mais surtout ne pas rester « dans l’incapacité d’explorer les possibilités et les limites des valeurs mahoraises. »
Lucide sur les exigences à tenir, Mouhoutar Salim conclut sur la nécessité de « garder l’équilibre entre le meilleur de la métropole et le meilleur de Mayotte. »
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
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